On est cette fois dans la cidrerie du hameau de Gastelugaïn, près de la frontière, attendant le moment de sortir avec des caisses de bijouterie et d’armes.
Et c’est Itchoua qui parle :
« Si elle hésite, vois-tu…, et elle n’hésitera pas, sois-en sûr…, mais enfin, si elle hésite, eh bien ! nous l’enlèverons… Laisse-moi mener ça, mon plan est fait. Ce sera le soir, tu m’entends bien ?… Nous la conduirons n’importe où pour l’enfermer dans une chambre avec toi… Par exemple, si ça tourne mal…, enfin, supposons que je sois dans l’obligation de quitter le pays, moi, après avoir fait ce coup pour ton plaisir ; alors, il faudra bien me donner plus d’argent que ça, tu comprends… Au moins, que je puisse aller chercher mon pain en Espagne…
– En Espagne !… Quoi ? Alors, comment comptez-vous donc vous y prendre, Itchoua ? Vous n’avez pas dans la tête de faire des choses trop graves, au moins ?
– Oh ! là, n’aie pas peur, mon ami, je n’ai l’envie d’assassiner personne.
– Dame ! vous parlez de vous sauver…
– Eh ! mon Dieu, j’ai dit ça comme autre chose, tu sais. D’abord, elles ne vont plus, les affaires, depuis quelque temps. Et puis, admettons que ça tourne mal, comme je te disais, et que la police fasse une enquête. Eh bien ! j’aimerais mieux partir, c’est sûr…, car ces messieurs de la Justice, quand une fois leur nez s’est fourré chez vous, ils vont chercher tout ce qui s’est passé dans les temps, et ça n’en finit plus… »
Au fond de ses yeux, expressifs tout à coup, avaient paru le crime et la peur. Et Ramuntcho regardait avec un surcroît d’inquiétude cet homme, que l’on croyait solidement établi dans le pays, avec du bien au soleil, et qui acceptait si facilement l’idée de s’enfuir. Quel bandit était-il donc aussi, pour tant redouter la Justice ?… Et quelles pouvaient être ces choses, qui s’étaient passées « dans les temps ?… » Après un silence entre eux, il reprit plus bas, en méfiance extrême :
« D’ailleurs, l’enfermer… Vous dites ça sérieusement, Itchoua ?… Et où donc l’enfermerais-je, s’il vous plaît ? Je n’ai pas de château, moi, ni d’oubliettes, pour la garder cachée… »
Alors Itchoua, avec un sourire de faune qu’on ne lui connaissait pas, en lui frappant sur l’épaule :
« Oh ! l’enfermer…, pour une nuit seulement, mon petit !… Ça suffira, tu peux m’en croire… Elles sont toutes les mêmes, vois-tu : le premier pas leur coûte ; mais le second, elles le font toutes seules et plus vite qu’on ne pense. Est-ce que tu t’imagines qu’elle voudra rentrer chez les bonnes sœurs, quand une fois elle en aura goûté ?… »
L’envie de souffleter ce morne visage passa en secousse électrique dans le bras et la main de Ramuntcho. Il se contint cependant par une longue habitude de respect pour le vieux chantre des liturgies et demeura silencieux, le sang aux joues, le regard détourné. Il était révolté d’entendre quelqu’un parler ainsi d’elle – et si surpris, du reste, que ce fût cet homme, qui lui semblait fermé aux choses d’amour, cet Itchoua, qu’il avait de tout temps connu l’époux tranquille d’une femme laide et vieille. Mais le coup porté par l’impertinente phrase suivait quand même dans son imagination un chemin dangereux et imprévu… Gracieuse, « enfermée dans une chambre avec lui ! » La possibilité immédiate de cela, si nettement présentée d’un mot rude et grossier, faisait tourner sa tête comme une liqueur très violente.
Il l’aimait d’une trop haute tendresse, sa fiancée, pour se complaire aux espérances brutales. D’ordinaire, il écartait plutôt de son esprit ces images ; mais maintenant cet homme venait de les lui mettre sous les yeux, avec une crudité diabolique, et il sentait les frissons de cela courir dans sa chair ; voici qu’il tremblait comme s’il eût fait grand froid…
Oh ! que l’aventure tombât ou non sous le coup de la Justice, eh bien, tant pis, après tout ! Il n’avait plus rien à perdre, n’est-ce pas ? tout lui était égal ! Et à partir de cette soirée, dans la fièvre d’un désir nouveau, il se sentit décidé plus témérairement à braver les règles, les lois, les entraves quelconques de ce monde. D’ailleurs, des sèves montaient partout autour de lui, sur le flanc des Pyrénées brunes ; il y avait des soirs plus longs et plus tièdes ; les sentiers se bordaient de violettes et de pervenches…
Mais les scrupules religieux, voilà, c’était tout ce qui le tenait encore. Cela demeurait toujours, inexplicablement, au fond de son âme en déroute : instinctive horreur des profanations ; croyance quand même à quelque chose de surnaturel enveloppant, pour les défendre, les églises et les cloîtres…