« Eh bien, Gatchutcha, tu lui en as enfin parlé, à ta maman, de l’oncle Ignacio ? » demandait Raymond, très tard, le même soir, dans l’allée du jardin, sous des rayons de lune.
« Pas encore, non, je n’ai pas osé… C’est que, vois-tu, comment lui expliquer que je sais toutes ces choses, moi, puisque je suis censée ne plus causer avec toi jamais, et qu’elle m’en a fait défense ?… Songe un peu, si j’allais lui donner soupçon !… Après, ce serait fini, nous ne pourrions plus nous voir ! J’aimerais mieux remettre à plus tard, à quand tu auras quitté le pays, car alors tout me sera égal…
– C’est vrai !… Attendons, puisque je vais partir. »
En effet, il allait partir et déjà leurs soirs étaient comptés.
Maintenant qu’ils avaient définitivement laissé échapper ce bonheur immédiat, offert là-bas dans les prairies d’Amérique, il leur semblait préférable de hâter le départ de Raymond pour l’armée, afin qu’il fût de retour plus vite aussi. Donc, ils avaient décidé qu’il demanderait à « devancer l’appel », qu’il irait s’engager dans l’infanterie de marine, le seul corps où l’on ait la faculté de ne servir que trois ans. Et, comme il leur fallait, pour être plus certains de ne pas manquer de courage, une époque précise, envisagée longtemps à l’avance, ils avaient fixé la fin de septembre, après la grande série des jeux de paume.
Cette séparation de trois années, ils la contemplaient d’ailleurs avec une confiance absolue dans l’avenir, tant ils se croyaient sûrs l’un de l’autre, et d’eux-mêmes, et de leur impérissable amour. Mais c’était cependant une attente qui déjà leur serrait le cœur étrangement ; cela jetait une mélancolie imprévue sur les choses même les plus indifférentes d’ordinaire, sur la fuite des journées, sur les moindres indices de la saison prochaine, sur l’éclosion de certaines plantes, sur l’épanouissement de certaines espèces de fleurs, sur tout ce qui présageait l’arrivée et la marche si rapide de leur dernier été.