Déjà les feux de la Saint-Jean ont flambé, joyeux et rouges dans une claire nuit bleue, – et la montagne espagnole, là-bas, semblait ce soir-là brûler comme une gerbe de paille, tant il y en avait de ces feux de joie, allumés sur ses flancs. La voici donc commencée, la saison de lumière, de chaleur et d’orage, vers la fin de laquelle Raymond doit partir.
Et les sèves, qui au printemps montaient si vite, déjà s’alanguissent dans le développement complet des verdures, dans l’épanouissement large des fleurs. Et le soleil, toujours plus brûlant, surchauffe toutes les têtes, de bérets coiffées, exalte les ardeurs et les passions, fait lever partout, dans ces villages basques, des ferments d’agitation bruyante et de plaisir. Tandis qu’en Espagne commencent les grandes courses sanglantes, c’est ici l’époque de tant de fêtes, de tant de parties de paume, de tant de fandangos dansés le soir, de tant d’alanguissements d’amoureux dans la tiède volupté des nuits !
C’est bientôt la splendeur chaude de juillet méridional. La mer de Biscaye s’est faite très bleue et la côte Cantabrique a pour un temps revêtu ses fauves couleurs de Maroc ou d’Algérie.
Avec les lourdes pluies d’orage, alternent les merveilleux beaux temps qui donnent à l’air des limpidités absolues. Et il y a les journées aussi où les choses un peu distantes sont comme mangées de lumière, poudrées d’une poussière de soleil ; alors, au-dessus des bois et du village d’Etchézar, la Gizune très pointue devient plus vaporeuse et plus haute, et, sur le ciel, flottent, pour le faire paraître plus bleu, de tout petits nuages d’un blanc doré avec un peu de gris de nacre dans leurs ombres.
Et les sources coulent plus minces et plus rares sous l’épaisseur des fougères, et, le long des routes, s’en vont plus lents, sous la conduite des hommes demi-nus, les chars à bœufs, qu’un essaim de mouches environne.
A cette saison, Ramuntcho, dans le jour, vivait de sa vie agitée de pelotari, tout le temps en courses, avec Arrochkoa, de village en village, pour organiser des parties de paume et pour les jouer.
Mais, à ses yeux, les soirs existaient seuls.
Les soirs !… Dans l’obscurité odorante et chaude du jardin, être assis très près de Gracieuse ; nouer les bras autour d’elle, peu à peu l’attirer et l’appuyer contre la poitrine pour la tenir comme blottie, et rester ainsi longuement sans rien dire, le menton appuyé sur ses cheveux, à respirer la senteur jeune et saine de son corps.
Il s’énervait dangereusement, Raymond, à ces contacts prolongés qu’elle ne défendait pas. D’ailleurs, il la devinait assez abandonnée à lui maintenant, et confiante, pour tout permettre ; mais il ne voulait pas tenter d’aller jusqu’à la communion suprême, par pudeur d’enfant, par respect de fiancé, par excès et par profondeur d’amour. Et il lui arrivait par fois de se lever brusquement pour se détendre, – à la manière d’un chat qui s’étire, disait-elle comme jadis à Erribiague, – quand il se voyait pris d’un tremblement dangereux et d’une plus impérieuse tentation de se fondre en elle, pour une minute d’ineffable mort…