XIII

Des semaines encore ont passé, en préparatifs, en indécisions inquiètes sur la manière d’agir, en changements brusques de plans et d’idées.

Entre-temps la réponse de l’oncle Ignacio est parvenue à Etchézar. Si son neveu avait parlé plus tôt, a-t-il écrit, il aurait été content de le recevoir chez lui ; mais, voyant ses hésitations, il s’est décidé à prendre femme, bien que déjà sur le retour de l’âge, et, depuis deux mois, un enfant lui est né. Alors, plus aucune protection à attendre de ce côté-là ; l’exilé, en arrivant là-bas, ne trouvera même pas de gîte…

La maison familiale a été vendue ; chez le notaire, les questions d’argent ont été réglées ; tout le petit avoir de Ramuntcho a été réalisé en pièces d’or dans sa main…

Et à présent, c’est aujourd’hui le jour de la tentative suprême, le grand jour, – et déjà les épaisses feuillées sont revenues aux arbres, le revêtement des hauts foins couvre à nouveau les prairies ; on est en mai.

Dans la petite voiture, que traîne le fameux cheval si rapide, ils roulent par les ombreux chemins de montagnes, Arrochkoa et Ramuntcho, vers ce village d’Amezqueta. Ils roulent vite ; ils s’enfoncent au cœur d’une infinie région d’arbres. Et, à mesure que l’heure passe, tout devient plus paisible autour d’eux, et plus sauvage ; plus primitifs, les hameaux ; plus solitaire, le pays basque.

A l’ombre des branches, sur les berges de ces chemins, il y a des digitales roses, des silènes, des fougères, presque la même flore qu’en Bretagne ; ces deux pays, d’ailleurs, le basque et le breton, se ressemblent toujours par le granit qui est partout et par l’habituelle pluie ; par l’immobilité aussi, et par la continuité du même rêve religieux.

Au-dessus des deux jeunes hommes partis pour l’aventure, s’épaississent les gros nuages coutumiers, le ciel sombre et bas qui est le plus souvent le ciel d’ici. La route qu’ils suivent, dans ces défilés de montagnes toujours plus hautes, est verte délicieusement, creusée en pleine ombre, entre des parois de fougères.

Immobilité de plusieurs siècles, immobilité chez les êtres et dans les choses, – on en a de plus en plus conscience à mesure que l’on pénètre plus avant dans cette contrée de forêts et de silence. Sous ce voile obscur du ciel, où se perdent les cimes des grandes Pyrénées, apparaissent et s’enfuient des logis isolés, des fermes centenaires, des hameaux de plus en plus rares, – et c’est toujours sous la même voûte de chênes, de châtaigniers sans âge, qui viennent tordre jusqu’aux rebords des sentiers leurs racines comme des serpents moussus. Ils se ressemblent d’ailleurs, ces hameaux séparés les uns des autres par tant de bois, par tant de fouillis de branches, et habités par une race antique, dédaigneuse de tout ce qui trouble, de tout ce qui change l’humble église, le plus souvent sans clocher, avec un simple campanile sur sa façade grise, et la place, avec son mur peinturluré, pour ce traditionnel jeu de paume où, de père en fils, les hommes exercent leurs muscles durs. Partout la saine paix de la vie rustique, dont les traditions, en pays basque, sont plus immuables qu’ailleurs.

Les quelques bérets de laine, que les deux téméraires rencontrent sur leur rapide passage, s’inclinent tous pour un petit salut, par politesse générale d’abord, et par connaissance surtout, car ils sont, Arrochkoa et Ramuntcho, les deux célèbres joueurs de pelote de la contrée ; – Ramuntcho, bien des gens, il est vrai, l’avaient oublié ; mais Arrochkoa, tout le monde, de Bayonne à Saint-Sébastien, jusqu’au fond des campagnes perdues, connaît sa figure aux saines couleurs et le retroussis de sa moustache de chat.

Partageant le voyage en deux étapes, ils ont couché cette nuit à Mendichoco. Et à présent ils roulent vite, les deux jeunes hommes, si préoccupés sans doute qu’ils se soucient à peine de ménager pour cette nuit l’allure de leur bête vigoureuse.

Itchoua cependant n’est pas avec eux. A la dernière minute, une terreur est venue à Raymond de ce complice qu’il sentait capable de tout, même de tuer ; dans un subit effarement, il a refusé le concours de cet homme, qui pourtant se cramponnait à la bride du cheval pour l’empêcher de partir ; fiévreusement il lui a jeté de l’or dans les mains pour payer ses conseils, pour racheter la liberté d’agir seul, l’assurance au moins de ne pas se souiller de quelque crime pièce par pièce, pour se dégager, il lui a laissé la moitié du prix convenu. Puis, le cheval lancé au galop, quand l’implacable figure s’est évanouie derrière un tournant d’arbres, il s’est senti la conscience allégée…

« Tu laisseras cette nuit ma voiture à Aranotz, chez Burugoïty, l’aubergiste avec qui c’est entendu, dit Arrochkoa. Car, tu comprends, moi, le coup fait, ma sœur partie, je vous quitte, je ne veux pas en savoir davantage… Nous avons du reste une affaire avec les gens de Buruzabal, des chevaux à passer en Espagne ce soir même, non loin d’Amezqueta précisément à vingt minutes de route à pied, et j’ai promis d’y être avant dix heures. »

Qu’est-ce qu’ils feront, comment s’y prendront-ils exactement ? Ils ne le voient pas bien, les deux frères alliés ; cela dépendra de la tournure des choses ; ils ont différents projets, tous hardis et habiles, suivant les cas qui pourraient se présenter.

Deux places sont d’ailleurs retenues, l’une pour Raymond et l’autre pour elle, à bord d’un grand paquebot d’émigrants sur lequel déjà les bagages sont embarqués et qui part demain soir de Bordeaux, emportant quelques centaines de Basques aux Amériques. A cette petite station d’Aranotz, où la voiture les déposera tous deux, l’amante et l’amant, ils prendront le train pour Bayonne, à trois heures du matin, au passage, et, à Bayonne ensuite, l’express d’Irun à Bordeaux. Ce sera une fuite empressée, qui ne laissera pas à la petite fugitive le temps de penser, de se ressaisir, dans son affolement, dans sa terreur, – sans doute aussi dans son ivresse délicieusement mortelle…

Une robe, une mantille à Gracieuse sont là toutes prêtes, au fond de la voiture, pour remplacer le béguin et l’uniforme noir des choses qu’elle portait autrefois, avant sa prise de voile, et qu’Arrochkoa s’est procurées dans les armoires de sa mère. Et Raymond songe que ce sera peut-être réel tout à l’heure, qu’elle sera peut-être là, à ses côtés, très près, sur ce siège étroit, enveloppée avec lui dans la même couverture de voyage, fuyant au milieu de la nuit, pour lui appartenir ensuite, tout aussitôt et pour jamais ; – et, en y songeant trop, il se sent pris encore de tremblement et de vertige…

« Moi, je te dis qu’elle te suivra ! » répète son ami, lui frappant rudement sur la cuisse en manière d’encouragement protecteur, dès qu’il le voit assombri et parti dans le rêve. »Moi, je te dis qu’elle te suivra, j’ ‘en suis sûr ! Si elle hésite, eh bien, laisse-moi faire ! »

Si elle hésite, alors un peu de violence, ils y sont résolus, oh ! très peu, rien que ce qu’il faudra, rien que dénouer et écarter les mains des vieilles nonnes tendues pour la retenir… Et puis, on l’emporterai jusqu’à la petite voiture, où infailliblement le contact enlaçant et la tendresse de son ami d’autrefois auront vite fait d’entraîner sa jeune tête.

Comment cela se passera-t-il, tout cela ? Ils ne le savent pas d’une façon précise encore, s’en rapportant beaucoup à leur esprit de décision et d’à-propos, qui les a tirés déjà de tant de passes dangereuses. Mais ce qu’ils savent bien, c’est qu’ils ne faibliront pas. Et ils vont de l’avant toujours, s’excitant l’un par l’autre ; on les dirait solidaires à présent jusqu’à la mort, fermes et décidés comme deux bandits à l’heure où il faut jouer la partie capitale.

Le pays de ramures touffues qu’ils traversent, sous l’oppression de très hautes montagnes que l’on ne voit pas, est tout en ravins profonds et déchirés, en replis d’abîmes, où des torrents bruissent sous la verte nuit des feuillées. Les chênes, les hêtres, les châtaigniers deviennent de plus en plus énormes, vivant à travers les siècles d’une sève toujours fraîche et magnifique. Une verdure puissante, tranquille, est jetée sur toute cette géologie tourmentée ; depuis des millénaires, elle la couvre et l’apaise sous la fraîcheur de son immobile manteau, Et ce ciel nébuleux, presque obscur, qui est familier au pays basque, ajoute à l’impression que l’on a, d’une sorte d’universel recueillement où les choses seraient plongées ; une étrange pénombre descend de partout, descend des arbres d’abord, descend des épais voiles gris tendus au-dessus des branches, descend des grandes Pyrénées cachées derrière les nuages.

Et, au milieu de cette immense paix et de cette nuit verte, ils passent, Ramuntcho et Arrochkoa, comme deux jeunes perturbateurs allant rompre des charmes au fond des forêts. D’ailleurs, à tous les carrefours des chemins, de vieilles croix de granit se lèvent, comme en signal d’alarme, pour leur crier gare ; de vieilles croix avec cette inscription sublimement simple, qui est ici comme la devise de toute une race : 0 crux, ave, spes unica !

Bientôt le soir. Maintenant ils sont silencieux, parce que l’heure s’en va, parce que le moment approche, parce que toutes ces croix, sur la route, commencent presque de les intimider…

Et le jour baisse, sous ce voile triste qui se maintient au ciel. Les vallées deviennent plus sauvages, tout le pays plus désert. Et, aux coins des chemins, les vieilles croix se dressent toujours avec leurs inscriptions, pareille : O crux, ave, spes unica !

Amezqueta, au dernier crépuscule. Ils arrêtent leur voiture à un carrefour du village, devant la cidrerie. Arrochkoa est impatient de monter à la maison des sœurs, contrarié d’arriver si tard ; il craint qu’on ne leur ouvre plus, une fois la nuit tombée. Ramuntcho, silencieux, se laisse faire, s’abandonne à lui.

C’est là-haut, à mi-côte ; c’est cette maison isolée qu’une croix surmonte et que l’on voit encore se détacher en blanc sur la masse plus foncée de la montagne. Ils recommandent que, sitôt le cheval un peu reposé, on ramène la voiture toute prête, à un tournant là-bas, pour les attendre. Puis, tous deux s’engagent dans l’avenue d’arbres qui mène à ce couvent et où l’épaisseur des feuillages de mai rend l’obscurité presque nocturne. Sans rien se dire, sans faire de bruit avec leurs semelles de cordes, ils montent, l’allure souple et facile ; autour d’eux, les campagnes profondes s’imprègnent des immenses mélancolies de la nuit.

Arrochkoa frappe du doigt à la porte de la paisible maison :

« Je voudrais voir ma sœur, s’il vous plaît », demande-t-il à une vieille nonne, qui entrouvre, étonnée…

Avant qu’il ait fini de dire un cri de joie s’envole du corridor obscur, et une religieuse, qu’on devine toute jeune malgré l’enveloppement de son costume dissimulateur, se précipite, lui prend les mains. Elle l’a reconnu, lui, à sa voix, – mais a-t-elle deviné l’autre qui se tient derrière et qui ne parle pas ?…

La supérieure est accourue aussi, et, dans l’obscurité de l’escalier, les fait monter tous au parloir du petit couvent campagnard ; puis elle avance les chaises de paille, et chacun s’assied, Arrochkoa près de sa sœur, Raymond en face, – et ils sont l’un devant l’autre enfin, l’amante et l’amant, et un silence, plein de battements d’artères, plein de soubresauts d’âmes, plein de fièvres, descend sur eux…

Vraiment, voici que, dans ce lieu, on ne sait quelle paix presque douce, et un peu tombale aussi, enveloppe dès l’abord l’entrevue terrible ; au fond des poitrines, les cœurs frappent à grands coups sourds, mais les paroles d’amour ou de violence, les paroles meurent avant de passer les lèvres… Et cette paix, de plus en plus s’établit ; il semble qu’un suaire blanc peu à peu recouvre tout ici, pour calmer et éteindre.

Rien de bien particulier pourtant dans ce parloir si humble : quatre murs absolument nus sous une couche de chaux ; un plafond de bois brut ; un plancher où l’on glisse, tant il est ciré soigneusement ; sur une console, une Vierge de plâtre, déjà indistincte, parmi toutes les blancheurs semblables de ces fonds où le crépuscule de mai achève de mourir. Et une fenêtre sans rideaux, ouverte sur les grands horizons pyrénéens envahis par la nuit… Mais, de cette pauvreté voulue, de cette simplicité blanche, se dégage une notion d’impersonnalité définitive, de renoncement sans retour ; et l’irrémédiable des choses accomplies commence de se manifester à l’esprit de Ramuntcho, tout en lui apportant une sorte d’apaisement quand même, de subite et involontaire résignation.

Les deux contrebandiers, immobiles dans leurs chaises, n’apparaissent plus guère qu’en silhouette, carrures larges sur tout ce blanc des murs, et, de leurs traits perdus, à peine voit-on le noir plus intense des moustaches et des yeux. Les deux religieuses, aux contours unifiés par le voile, semblent déjà deux spectres tout noirs…

« Attendez, sœur Marie-Angélique », dit la supérieure à la jeune fille transformée qui jadis s’appelait Gracieuse, « attendez, ma sœur, que j’allume une lampe, qu’au moins vous puissiez voir sa figure, à votre frère !… »

Elle sort, les laissant ensemble, et, de nouveau, le silence tombe sur cet instant rare, peut-être unique, impossible à ressaisir, où ils sont seuls…

Elle revient avec une petite lampe, qui fait briller les yeux des contrebandiers, – et, la voix gaie, l’air bon, demande en regardant Ramuntcho :

« Et celui-là ?…, c’est un second frère, je parie ?…,

– Oh ! non, dit Arrochkoa, d’un ton singulier, c’est mon ami seulement. »

En effet, il n’est pas leur frère, ce Ramuntcho qui se tient là, farouche et muet… Et comme il ferait peur aux nonnes tranquilles, si elles savaient quel vent de tourmente l’amène !…

Le même silence retombe, lourd et inquiétant, entre ces êtres qui, semble-t-il, devraient causer simplement de choses simples ; et la vieille supérieure le remarque, déjà s’en étonne… Mais les yeux vifs de Ramuntcho s’immobilisent, se voilent comme par la fascination de quelque invisible dompteur. Sous la dure enveloppe, encore un peu haletante, de sa poitrine, le calme, le calme imposé continue de pénétrer et de s’étendre. Sur lui, sans doute, agissent les mystérieuses puissances blanches qui sont ici dans l’air ; des hérédités religieuses, qui sommeillaient aux tréfonds de lui-même, l’emplissent à présent d’une soumission et d’un respect inattendus ; les antiques symboles le dominent : ces croix rencontrées ce soir le long des chemins, et cette Vierge de plâtre d’une couleur de neige immaculée sur le blanc sans tache du mur…

« Allons, causez, causez, mes enfants, des choses du pays, des choses d’Etchézar, – dit la supérieure à Gracieuse et à son frère. – Et tenez, nous allons vous laisser seuls, si vous voulez, ajoute-t-elle, avec un signe à Ramuntcho comme pour l’emmener.

– Oh ! non, proteste Arrochkoa, qu’il ne s’en aille pas !… Non, ce n’est pas lui…, qui nous empêche… »

Et la petite nonne, si embéguinée à la manière du moyen âge, baisse encore plus la tête pour se maintenir les yeux cachés dans l’ombre de la coiffe austère.

La porte reste ouverte, la fenêtre reste ouverte ; la maison, les choses gardent leur air d’absolue confiance, d’absolue sécurité, contre les violations et les sacrilèges. Maintenant deux autres sœurs, qui sont très vieilles, dressent une petite table, mettent deux couverts, apportent pour Arrochkoa et son ami un petit souper, un pain, un fromage, des gâteaux, des raisins hâtifs de leur treille. En arrangeant ces choses, elles ont une gaieté jeunette, un babil presque enfantin – et tout cela détonne bien étrangement à côté de ces violences ardentes qui sont ici même, mais qui se taisent, et qui se sentent refoulées, refoulées de plus en plus au fond des âmes, comme par les coups de quelque sourde massue feutrée de blanc…

Et, malgré eux, les voici attablés, les deux contrebandiers, l’un devant l’autre, cédant aux instances et mangeant distraitement les choses frugales, sur une nappe aussi blanche que les murs. Leurs larges épaules, habituées aux fardeaux, s’appuient aux dossiers des petites chaises et en font craquer les boiseries frêles. Autour d’eux, vont et viennent les sœurs, toujours avec ces bavardages discrets et ces rires puérils, qui s’échappent, un peu étouffés, de dessous les béguins. Seule elle demeure muette et sans mouvement, la sœur Marie-Angélique : debout auprès de son frère qui est assis, elle pose la main sur son épaule puissante ; si svelte à côté de lui, on dirait quelque sainte d’un primitif tableau d’église. Ramuntcho sombre les observe tous deux ; il n’avait pas pu bien revoir encore le visage de Gracieuse, tant la cornette l’encadre et le dissimule sévèrement. Ils se ressemblent toujours, le frère et la sœur ; dans leurs yeux très longs, qui cependant ont pris des expressions plus que jamais différentes, demeure quelque chose d’inexplicablement pareil, persiste la même flamme, cette flamme qui a poussé l’un vers les aventures et la grande vie des muscles, l’autre vers les rêves mystiques, vers la mortification et l’anéantissement de la chair. Mais elle est devenue aussi frêle que lui est robuste ; sa gorge sans doute n’est plus, ni ses reins ; le vêtement noir où son corps demeure caché descend tout droit comme une gaine n’enfermant rien de charnel.

Et maintenant, pour la première fois, ils se contemplent en face, l’amante et l’amant, Gracieuse et Ramuntcho ; leurs prunelles se sont rencontrées et fixées. Elle ne baisse plus la tête devant lui ; mais c’est comme d’infiniment loin qu’elle le regarde, c’est comme de derrière d’infranchissables brumes blanches, comme de l’autre rive de l’abîme, de l’autre côté de la mort ; très doux pourtant, son regard indique qu’elle est comme absente, repartie pour de tranquilles et inaccessibles ailleurs… Et c’est Raymond à la fin qui, plus dompté encore, abaisse ses yeux ardents devant les yeux vierges.

Elles continuent de babiller les sœurs ; elles voudraient les retenir tous deux à Amezqueta pour la nuit : le temps, disent-elles, est si noir, et la pluie menace… M, le curé, qui est allé porter la communion à un malade dans la montagne, va revenir ; il a connu Arrochkoa jadis, à Etchézar où il était vicaire ; il serait content de lui donner une chambre, dans la cure, – et à son ami aussi, bien entendu…

Mais non, Arrochkoa refuse, après un coup d’œil d’interrogation grave à Ramuntcho. Impossible de coucher ici ; ils vont même s’en aller tout de suite, après quelques minutes de dernière causerie, car on les attend là-bas, pour des affaires, du côté de la frontière espagnole…

Elle qui, d’abord, dans son grand trouble mortel n’avait pas osé parler, commence à questionner son frère. Tantôt en basque, tantôt en français, elle s’informe de ceux qu’elle a pour jamais abandonnés :

« Et la mère ? Toute seule à présent au logis, même la nuit ?

– Oh ! non, dit Arrochkoa ; il y a toujours la vieille Catherine qui la garde, et j’ai exigé qu’elle couche à la maison.

– Et le petit enfant d’Arrochkoa, comment est-il ? L’a-t-on baptisé déjà ? Quel est son nom ? Laurent, sans doute, comme son grand-père ? »

Etchézar, leur village, est séparé d’Amezqueta par une soixantaine de kilomètres, dans un pays sans plus de communications qu’aux siècles passés.

« Oh ! nous avons beau être loin, dit la petite nonne, j’ai quelquefois de vos nouvelles tout de même. Ainsi, le mois dernier, des gens d’ici avaient rencontré au marché d’Hasparren des femmes de chez nous ; c’est comme cela que j’ai appris…, bien des choses… A Pâques, tiens, j’avais beaucoup espéré te voir ; on m’avait prévenue qu’il y aurait une grande partie de paume à Erricalde, et que tu y viendrais jouer ; alors je m’étais dit que tu pousserais peut-être jusqu’à moi, – et, pendant les deux jours de fête, j’ai regardé bien souvent sur la route, par cette fenêtre-là, si tu arrivais… »

Et elle montre la fenêtre, ouverte de très haut sur le noir de la campagne sauvage, – d’où monte un immense silence, avec de temps à autre des bruissements printaniers, de petites musiques intermittentes de grillons et de rainettes.

Et l’entendant si tranquillement parler, Ramuntcho se sent confondu devant ce renoncement à tout et à tous ; elle lui apparaît encore plus irrévocablement changée, lointaine… Pauvre petite nonne !… Elle s’appelait Gracieuse ; à présent elle s’appelle sœur Marie-Angélique, et elle n’a plus de famille ; impersonnelle ici, dans cette maisonnette aux blanches murailles, sans espérance terrestre et sans désir peut-être, – autant dire qu’elle est déjà partie pour les régions du grand oubli de la mort. Et cependant, voici qu’elle sourit, rassérénée maintenant tout à fait, et qu’elle ne semble même pas souffrir.

Arrochkoa regarde Ramuntcho, l’interroge de son œil perçant habitué à sonder les profondeurs noires, – et, dompté lui-même par toute cette paix inattendue, il comprend bien que son camarade si hardi n’ose plus, que tous les projets chancellent, que tout retombe inutile et inerte devant l’invisible mur dont sa sœur est entourée. Par moments, pressé d’en finir d’une façon ou d’une autre, pressé de briser ce charme ou bien de s’y soumettre et de fuir devant lui, il tire sa montre, dit qu’il est temps de s’en aller, à cause des camarades qui vont attendre là-bas… Les sœurs devinent bien qui sont ces camarades et pourquoi ils attendent, mais elles ne s’en émeuvent point : Basques elles-mêmes, filles et petites-filles de Basques, elles ont du sang contrebandier dans les veines et considèrent avec indulgence ces sortes de choses…

Enfin, pour la première fois, Gracieuse prononce le nom de Ramuntcho ; n’osant pas, tout de même, s’adresser directement à lui, elle demande à son frère, avec un sourire bien calme :

« Alors, il est avec toi, Ramuntcho, à présent ? Il est fixé au pays, vous travaillez ensemble ? »

Un silence encore, et Arrochkoa regarde Raymond pour qu’il réponde :

« Non, dit celui-ci, d’une voix lente et sombre, non…, moi, je pars demain pour les Amériques. »

Chaque mot de cette réponse, scandé durement, est comme un son de trouble et de défi au milieu de cette sérénité étrange. Elle s’appuie plus fort à l’épaule de son frère, la petite nonne, et Ramuntcho, conscient du coup profond qu’il vient de porter, la regarde et l’enveloppe de ses yeux tentateurs, repris d’audace, attirant et dangereux dans le dernier effort de tout son cœur empli d’amour, de tout son être de jeunesse et de flamme fait pour les tendresses et les étreintes… Alors, pendant une indécise minute, il semble que le petit couvent a tremblé ; il semble que les puissances blanches de l’air reculent, se dissipent comme de tristes fumées irréelles devant ce jeune dominateur, venu ici pour jeter l’appel triomphant de la vie. Et le silence qui suit est le plus lourd de tous ceux qui ont entrecoupé déjà cette sorte de drame joué à demi-mot, joué presque sains paroles…

Enfin, la sœur Marie-Angélique parle, et parle à Ramuntcho lui-même. Vraiment on ne dirait plus que son cœur vient de se déchirer une suprême fois à l’annonce de ce départ ni qu’elle vient de frémir de tout son corps de vierge sous ce regard d’amant… D’une voix qui peu à peu s’affermit dans la douceur, elle dit des choses toutes simples, comme un ami quelconque.

« Ah ! oui…, l’oncle Ignacio, n’est-ce pas ?… J’avais toujours pensé que vous finiriez par aller le rejoindre là-bas… Nous prierons toutes la Sainte Vierge pour qu’elle vous accompagne dans votre voyage… »

Et c’est le contrebandier qui de nouveau baisse la tête, sentant bien que tout est fini, qu’elle est perdue pour jamais, la petite compagne de son enfance ; qu’on l’a ensevelie dans un inviolable linceul… Les paroles d’amour et de tentation qu’il avait pensé dire, les projets qu’il roulait depuis des mois dans sa tête, tout cela lui paraît insensé, sacrilège, inexécutables choses, bravades d’enfant… Arrochkoa, qui attentivement le regarde, subit d’ailleurs les mêmes envoûtements irrésistibles et légers ; ils se comprennent et, l’un à l’autre, sans paroles, ils s’avouent qu’il n’y a rien à faire, qu’ils n’oseront jamais…

Pourtant une angoisse encore humaine passe dans les yeux de la sœur Marie-Angélique, quand Arrochkoa se lève pour le définitif départ : elle prie, d’une voix changée, qu’on reste un instant de plus. Et Ramuntcho tout à coup a envie de se jeter à genoux devant elle ; la tête contre le bas de son voile, de sangloter toutes les larmes qui l’étouffent ; de lui demander grâce, de demander grâce aussi à cette supérieure qui a l’air si doux ; de leur dire à toutes que cette fiancée de son enfance était son espoir, son courage, sa vie, et qu’il faut bien avoir un peu pitié, qu’il faut la lui rendre, parce que, sans elle, il n’y a plus rien… Tout ce que son cœur, à lui, contient d’infiniment bon, s’exalte à présent dans un immense besoin d’implorer, dans un élan de suppliante prière et aussi de confiance en la bonté, en la pitié des autres…

Et qui sait, mon Dieu, s’il avait osé la formuler, cette grande prière de tendresse pure, qui sait tout ce qu’il aurait éveillé de bon aussi, et de tendre et d’humain chez les pauvres filles au voile noir ?… Peut-être cette vieille supérieure elle-même, cette vieille vierge desséchée au sourire enfantin et aux braves yeux clairs, lui aurait ouvert ses bras, comme à un fils, comprenant tout, pardonnant tout, malgré la règle et malgré les vœux ? Et peut-être Gracieuse aurait encore pu lui être rendue, sans enlèvement, sans tromperies, presque excusée par ses compagnes de cloître. Ou tout au moins, si c’était impossible, lui aurait-elle fait de longs adieux, consolants, adoucis par un baiser d’immatériel amour…

Mais, non, il reste là muet sur sa chaise. Même cela, même cette prière, il ne peut pas la dire. Et c’est l’heure de s’en aller, décidément. Arrochkoa est debout, agité, l’appelant d’un signe de tête impérieux. Alors il redresse aussi sa taille fière et reprend son béret pour le suivre. Ils remercient du petit souper qu’on leur a donné et ils disent bonsoir à demi-voix comme des timides. En somme, pendant toute leur visite ils ont été très corrects, très respectueux, presque craintifs, les deux superbes. Et, comme si l’espoir ne venait pas de se briser, comme si l’un d’eux ne laissait pas derrière lui sa vie, les voilà qui descendent tranquillement l’escalier propret, entre les blanches murailles, tandis que les bonnes sœurs les éclairent avec leur petite lampe.

« Venez, sœur Marie-Angélique, propose gaiement la supérieure, de sa grêle voix enfantine. Nous allons toutes les deux les reconduire jusqu’en bas…, jusqu’au bout de notre avenue, vous savez, au tournant du village… »

Est-elle quelque vieille fée sûre de son pouvoir, ou bien une simple et une inconsciente, qui joue sans s’en douter avec le grand feu dévorateur ?… C’était fini ; le déchirement, accompli ; l’adieu, accepté ; la lutte, étouffée sous des ouates blanches, – et à présent les voilà, ces deux qui s’adoraient, cheminant côte à côte, dehors, dans la nuit tiède de printemps !…, dans l’amoureuse nuit enveloppante, sous le couvert des feuilles nouvelles et sur les hautes herbes, parmi toutes les sèves qui montent, au milieu de la poussée souveraine de l’universelle vie.

Ils marchent à petits pas, à travers cette obscurité exquise, comme par un silencieux accord pour faire plus longtemps durer le sentier d’ombre, muets l’un et l’autre, dans l’ardent désir et l’intense terreur d’un contact de leurs vêtements, d’un frôlement de leurs mains. Arrochkoa et la supérieure les suivent de tout près, sur leurs talons, sans se parler non plus ; religieuses avec leurs sandales, contrebandiers avec leurs semelles de cordes, ils vont à travers ces ténèbres douces sans faire plus de bruit que des fantômes, et leur petit cortège, lent et étrange, descend vers la voiture dans un silence de funérailles. Silence aussi autour d’eux, partout dans le grand noir ambiant, jusqu’au plus profond des montagnes et des bois. Et, au ciel sans étoiles, dorment les grosses nuées, lourdes de toute l’eau fécondante que la terre attend et qui va s’épandre demain pour faire les bois encore plus feuillus, l’herbe encore plus haute ; les grosses nuées, au-dessus de leurs têtes, couvent toute cette splendeur de l’été méridional qui tant de fois, dans leur enfance, les a charmés ensemble, troublés ensemble, mais que Ramuntcho ne reverra sans doute jamais plus et qu’à l’avenir Gracieuse devra regarder comme avec des yeux de morte, sans la comprendre ni la reconnaître…

Personne autour d’eux, dans la petite allée obscure, et, en bas, le village semble déjà dormir. La nuit, tout à fait tombée ; son grand mystère, épandu partout, dans les lointains de ce pays perdu, sur les montagnes et les vallées sauvages… Et, comme ce serait facile à exécuter, ce qu’avaient résolu ces deux jeunes hommes, dans cette solitude, avec cette voiture qui doit être là toute prête, et ce cheval rapide !…

Cependant, sans s’être parlé, sans s’être touchés, ils arrivent, les amants, à ce tournant de chemin où il faut se dire l’adieu éternel, La voiture est bien là, tenue par un petit garçon ; la lanterne est allumée et le cheval impatient. La supérieure s’arrête : c’est, paraît-il, le terme dernier de la dernière promenade qu’ils feront l’un près de l’autre en ce monde, – et elle se sent le pouvoir, cette vieille nonne, d’en décider ainsi sans appel. De sa même petite voix fluette, presque enjouée, elle dit :

« Allons, ma sœur, faites-leur vos adieux. »

Et elle dit cela avec l’assurance d’une Parque dont les décrets de mort ne sont pas discutables.

En effet, personne ne tente de résister à son ordre impassiblement donné. Il est vaincu, le rebelle Ramuntcho, oh ! bien vaincu par les tranquilles puissances blanches ; tout frissonnant encore du sourd combat qui vient de finir en lui, il baisse la tête, sans volonté maintenant et presque sans pensée, comme sous l’influence de quelque maléfice endormeur.

« Allons, ma sœur, faites-leur vos adieux », a-t-elle dit, la vieille Parque tranquille. Puis, voyant que Gracieuse se borne à prendre la main d’Arrochkoa, elle ajoute :

« Eh bien, vous n’embrassez pas votre frère ?… »

Sans doute, la petite sœur Marie-Angélique ne demandait que cela, l’embrasser de tout son cœur, de toute son âme ; l’étreindre, ce frère ; se serrer sur son épaule et y chercher protection, à cette heure de sacrifice surhumain, où il faut laisser partir le bien-aimé sans même un mot d’amour… Et pourtant son baiser a je ne sais quoi d’épouvanté, de tout de suite retenu : baiser de religieuse, un peu pareil à un baiser de morte… A présent, quand le reverra-t-elle, ce frère, qui cependant ne va pas quitter le pays basque, lui ? quand aura-t-elle seulement des nouvelles de la mère, de la maison, du village, par quelque passant qui s arrêtera ici, venant d’Etchézar ?…

A Ramuntcho, elle n’ose même pas tendre sa petite main froide, qui retombe le long de sa robe, sur les grains du rosaire.

« Nous prierons, lui dit-elle encore, pour que la Sainte Vierge vous protège dans votre long voyage… »

Et maintenant elles s’en vont : lentement elles s’en retournent, comme des ombres silencieuses, vers l’humble couvent que la croix protège. Et les deux domptés, immobiles sur place, regardent s’éloigner, dans l’avenue obscure, leurs voiles plus noirs que la nuit des arbres.

Oh ! elle est bien brisée aussi, celle qui va disparaître là-haut, dans les ténèbres de la petite montée ombreuse. Mais elle n’en demeure pas moins comme anesthésiée par de blanches vapeurs apaisantes, et tout ce qu’elle souffre s’atténuera vite, sous une sorte de sommeil. Demain elle reprendra, pour jusqu’à la mort, le cours de son existence étrangement simple impersonnelle, livrée une série de devoirs quotidiens qui jamais ne changent, absorbée dans une réunion de créatures presque neutres qui ont tout abdiqué, elle pourra marcher les yeux levés toujours vers le doux mirage céleste…

O crux, ave, spes unica !

Vivre, sans variation ni trêve jusqu’à la fin, entre les murs blancs d’une cellule toujours pareille, tantôt ici, tantôt ailleurs, au gré d’une volonté étrangère, dans l’un quelconque de ces humbles couvents de village auquel on n’a même pas le loisir de s’attacher. Sur cette terre, ne rien posséder et ne rien désirer, ne rien attendre, ne rien espérer. Accepter comme vides et transitoires les heures fugitives de ce monde, et se sentir affranchi de tout, même de l’amour, autant que par la mort… Le mystère de telles existences est bien pour demeurer à jamais inintelligible à ces jeunes hommes qui sont là, faits pour la bataille de chaque jour, beaux êtres d’instinct et de force, en proie à tous les désirs ; créés pour jouir de la vie et pour en souffrir, pour l’aimer et pour la propager.

O crux, ave, spes unica !

On ne les voit plus, elles sont rentrées dans leur petit couvent solitaire.

Les deux hommes n’ont même pas échangé un mot sur leur entreprise abandonnée, sur la cause mal définie qui a mis pour la première fois leur courage en défaut ; ils éprouvent, l’un vis-à-vis de l’autre, presque une honte de leur subite et insurmontable timidité.

Un instant leurs tètes fières étaient restées tournées vers les nonnes lentement fuyantes ; à présent ils se regardent à travers la nuit.

Ils vont se séparer, et probablement pour toujours : Arrochkoa remet à son ami les guides de la petite voiture que, suivant sa promesse, il lui prête :

« Allons, mon pauvre Ramuntcho !… » dit-il sur le ton d’une commisération à peine affectueuse.

Et la fin inexprimée de sa phrase signifie clairement : « Va-t’en, puisque tu as manqué ton coup ; et moi, tu sais, il est l’heure où les camarades m’attendent… »

Raymond, lui, allait de tout son cœur l’embrasser pour le grand adieu, – et, dans cette étreinte avec le frère de la bien-aimée, il aurait pleuré sans doute de bonnes larmes chaudes qui, pour un moment au moins, l’auraient un peu guéri.

Mais non, Arrochkoa est redevenu l’Arrochkoa des mauvais jours, le beau joueur sans âme, que les choses de hardiesse intéressent seules. Distraitement, il touche la main de Ramuntcho :

« Eh bien donc, au revoir !… Bonne chance là-bas !… »

Et, de son pas silencieux, il s’en va retrouver les contrebandiers, vers la frontière, dans l’obscurité propice.

Alors Raymond, seul au monde à présent, enlève d’un coup de fouet le petit cheval montagnard, qui file avec son bruit léger de clochettes… Ce train qui doit passer à Aranotz, ce paquebot qui va partir de Bordeaux…, un instinct le pousse encore à ne pas les manquer. Machinalement il se hâte, sans plus savoir pourquoi, comme un corps sans âme qui continuerait d’obéir à une impulsion ancienne, et, très vite, lui qui pourtant est sans but et sans espérance au monde, il s’enfonce dans la campagne sauvage, dans l’épaisseur des bois, dans tout ce noir profond de la nuit de mai que les nonnes, de leur haute fenêtre, voient alentour…

Pour lui, c’est fini du pays, fini à jamais ; fini des rêves délicieux et doux de ses premières années. Il est une plante déracinée du cher sol basque, et qu’un souffle d’aventure emporte ailleurs.

Au cou du cheval, gaiement les clochettes sonnent, dans le silence des bois endormis ; la lueur de la lanterne, qui court empressée, montre au fuyard triste des dessous de branches, de fraîches verdures de chênes ; au bord du chemin, les fleurs de France ; de loin en loin, les murs d’un hameau familier, d’une vieille église, – toutes les choses qu’il ne reverra jamais, si ce n’est peut-être dans une douteuse et très lointaine vieillesse…

En avant de sa route, il y a les Amériques, l’exil sans retour probable, l’immense nouveau plein de surprises et abordé maintenant sans courage : toute une vie encore très longue, sans doute, pendant laquelle son âme arrachée d’ici devra souffrir et se durcir là-bas ; sa vigueur, se dépenser et s’épuiser qui sait où, dans des besognes, dans des luttes inconnues…

Là-haut, dans leur petit couvent, dans leur petit sépulcre aux murailles si blanches, les nonnes tranquilles récitent leurs prières du soir…

O crux, ave, spes unica !

FIN