« Et qui as-tu vu au village, mon fils ? » interrogeait-elle, le lendemain matin, pendant ce mieux qui revenait chaque fois, aux premières heures du jour, après la fièvre tombée. » Et qui as-tu vu au village, mon fils ?… »
En causant, elle s’efforçait de garder un air un peu enjoué, de dire des choses quelconques, dans la frayeur d’aborder les sujets graves et de provoquer d’inquiétantes réponses.
« J’ai vu Arrochkoa, ma mère », répondit-il d’un ton qui ramenait subitement aux questions brûlantes.
« Arrochkoa !… Et comment s’est-il comporté avec toi ?
– Oh ! il m’a parlé comme si j’avais été son frère…
– Oui, je sais, je sais… Oh ! ce n’est pas lui, va, qui l’y a poussée…
– Même, il m’a dit… »
Il n’osait plus continuer, à présent, et il baissait la tête.
« Il t’a dit quoi donc, mon fils ?
– Eh bien, que…, que ç’avait été dur de l’enfermer là…, que peut-être…, que, même encore maintenant, si elle me revoyait, il ne serait pas éloigné de croire… »
Elle se redressa sous la commotion de ce qu’elle venait d’entrevoir ; avec ses mains maigres, elle écartait ses cheveux nouvellement blanchis, et ses yeux étaient redevenus jeunes et vifs, dans une expression presque mauvaise, de joie, d’orgueil vengé :
« Il t’a dit cela, lui !…
– Est-ce que vous me pardonneriez, ma mère…, si j’essayais ? »
Elle lui prit les deux mains et ils restèrent silencieux, n’ayant osé ni l’un ni l’autre, avec leurs scrupules de catholiques, proférer la chose sacrilège qui fermentait dans leurs têtes. Au fond de ses yeux, à elle, l’éclair mauvais achevait de s’éteindre.
« Te pardonner, reprit-elle à voix très basse, oh ! moi…, moi, tu sais bien que oui… Mais ne fais pas cela, mon fils, je t’en supplie, ne le fais pas ; ce serait vous porter malheur à tous deux, vois-tu !… N’y songe plus, mon Ramuntcho, n’y songe jamais… »
Puis, ils se turent, entendant les pas du médecin qui montait pour sa visite quotidienne. Et ce fut la seule, la suprême fois qu’ils devaient en parler ensemble dans la vie.
Mais Raymond savait maintenant que, même après la mort, elle ne le maudirait pas pour avoir tenté cela ou pour l’avoir commis : or, ce pardon lui suffisait, et, maintenant qu’il se sentait sûr de l’obtenir, la plus grande barrière, entre sa fiancée et lui, était comme tombée tout à coup.