Le jour du départ. Des adieux à des amis, çà et là ; des souhaits joyeux d’anciens soldats revenus du régiment. Depuis le matin, une sorte de griserie ou de fièvre, et, en avant de lui, tout l’imprévu de la vie.
Arrochkoa, très gentil ce dernier jour, s’était offert avec instances pour le conduire avec sa voiture à Saint-Jean-de-Luz et avait combiné qu’on partirait au déclin du soleil, de façon à arriver là-bas juste au passage du train de nuit.
Donc, le soir étant inexorablement arrivé, Franchita voulut accompagner son fils sur la place, où cette voiture des Detcharry l’attendait toute prête, et là son visage, malgré sa volonté, se contracta de douleur, tandis que lui se raidissait pour conserver cet air crâne qui sied aux conscrits en partance pour le régiment :
« Faites-moi une petite place, Arrochkoa », dit-elle brusquement, « je vais monter entre vous deux jusqu’à la chapelle de Saint-Bitchentcho ; je m’en reviendrai à pied… »
Et ils partirent au soleil baissant qui, sur eux comme sur toutes choses, épandait la magnificence de ses ors et de ses cuivres rouges…
Après un bois de chênes, la chapelle de Saint-Bitchentcho passa, et la mère voulut rester encore. D’un tournant à un autre, remettant chaque fois la grande séparation, elle demandait à le conduire toujours plus loin.
« Allons, ma mère, en haut de la côte d’Issaritz il faudra descendre ! dit-il tendrement. Tu m’entends, Arrochkoa, tu arrêteras ta voiture où je viens de dire ; je ne veux pas qu’elle aille plus loin, ma mère… »
A cette côte d’Issaritz, le cheval avait de lui-même ralenti son allure. La mère et le fils, les yeux brûlés de larmes retenues, restaient la main dans la main, et on allait doucement, doucement, en un silence absolu, comme si c’était une montée solennelle vers quelque calvaire.
Enfin, tout en haut de la côte, Arrochkoa, qui semblait muet, lui aussi, tira légèrement sur les guides, avec un simple petit : « Ho !…, là !… » discret comme un signal lugubre qu’on hésite à donner, – et la voiture fut arrêtée.
Alors, sans rien dire, Raymond sauta sur la route, fit descendre sa mère, lui donna un grand baiser très long, puis remonta lestement sur le siège :
« Va, Arrochkoa, vite, enlève ton cheval, partons ! »
Et en deux secondes, à la descente rapide d’après, il perdit de vue celle dont le visage enfin s’inondait de larmes.
Maintenant ils s’éloignaient l’un de l’autre, Franchita et son fils. En sens inverse, ils cheminaient sur cette route d’Etchézar, – à la splendeur du soleil couchant, dans une région de bruyères roses et de fougères jaunies. Elle remontait : lentement vers son logis, rencontrant quelques groupes isolés de laboureurs, quelques troupeaux menés travers le soir d’or par de petits pâtres en bérets. – Et lui descendait toujours, et très vite, par des vallées bientôt obscures, vers le bas pays où le chemin de fer passe…