Cependant Franchita s’étonnait de l’attitude inexpliquée de son fils, qui, semblait-il, ne voyait plus jamais Gracieuse et qui pourtant n’en parlait même pas. Alors, tandis que s’amassait en elle-même la tristesse de ce départ si prochain pour le service militaire, elle observait, avec son mutisme et sa patience de paysanne.
Un soir donc, un des derniers soirs, comme il partait, mystérieux et empressé, bien avant l’heure de la contrebande nocturne elle se dressa devant lui, le regard dans le sien : « Où vas-tu, mon fils ? »
Et le voyant détourner la tête, rouge et embarrassé, elle acquit la soudaine certitude : « C’est bon, maintenant je sais… Oh ! je sais !… »
Elle était plus émue que lui encore, à la découverte de ce grand secret… Que ce ne fût pas Gracieuse, que ce fût une autre fille, l’idée ne lui en était même pas venue, elle était pour cela trop clairvoyante. Et ses scrupules de chrétienne s’éveillaient, sa conscience s’épouvantait du mal qu’ils avaient pu faire tous deux, – en même temps que montait du fond de son cœur un sentiment dont elle avait honte comme d’un crime, une espèce de joie sauvage… Car enfin…, si leur union charnelle était accomplie, l’avenir de son fils s’assurait tel qu’elle l’avait rêvé pour lui… Elle connaissait bien assez son Ramuntcho, du reste pour savoir qu’il ne changerait pas et que Gracieuse ne serait jamais abandonnée.
Le silence cependant se prolongeait entre eux, elle toujours devant lui, barrant le chemin :
« Et qu’avez-vous fait ensemble ? se décida-t-elle demander. Dis-moi la vérité, Raymond, qu’avez vous fait de mal ?…
– De mal ?… Oh ! mais rien, ma mère, rien de mal, je vous le jure… »
Il répondait cela sans aucune irritation d’être interrogé, et en soutenant le regard de sa mère avec de bons yeux de franchise. C’était vrai, d’ailleurs, et elle le crut.
Mais, comme elle restait encore en face de lui, la main sur le loquet de la porte, il reprit, avec une sourde violence :
« Vous n’allez pas m’empêcher d’y aller, au moins, quand je pars dans trois jours ! »
Alors, devant cette jeune volonté en révolte, la mère, enfermant en elle-même le tumulte de ses pensées contradictoires, baissa la tête et, sans un mot, s’écarta pour le laisser passer.