La cloche d’Etchézar, la même chère vieille cloche, celle des tranquilles couvre-feu, celle des fêtes et celle des agonies, sonnait joyeusement, au beau soleil de juin. Le village était tendu partout de draps blancs, de broderies blanches, et la procession de la Fête-Dieu défilait très lente, sur une verte jonchée de fenouils et de roseaux coupés dans les marais d’en bas.
Les montagnes paraissaient proches et sombres, un peu farouches avec leurs tons bruns et leurs tons fauves, au-dessus de cette blanche théorie de petites filles cheminant sur un tapis de feuilles et d’herbes fauchées.
Toutes les vieilles bannières de l’église étaient là, éclairées par ce soleil qu’elles connaissent depuis des siècles, mais qu’elles ne voient qu’une ou deux fois l’an, aux jours consacrés.
La grande, celle de la Vierge, en soie blanche brodée d’or éteint, s’avançait portée par Gracieuse, qui marchait tout de blanc vêtue et les yeux perdus en plein rêve mystique. Derrière les jeunes filles, venaient les femmes, toutes les femmes du village, coiffées d’un voile noir, y compris Dolorès et Franchita, les deux ennemies. Des hommes, assez nombreux encore, fermaient ce cortège, le cierge à la main, le béret bas, – mais c’étaient surtout des chevelures grises, des visages aux expressions vaincues et résignées, des têtes de vieillards.
Gracieuse, en tenant haut la bannière de la Vierge, devenait à cette heure une petite illuminée ; elle se croyait en marche, comme après la mort, vers les célestes tabernacles. Et quand, par instants, le souvenir des lèvres de Raymond traversait son rêve, elle avait l’impression, au milieu de tout ce blanc, d’une souillure cuisante, bien que délicieuse. Vraiment, à mesure que ses pensées de jour en jour s’élevaient, ce qui la ramenait sans cesse vers lui, c’était moins les sens, susceptibles chez elle d’être domptés, que de plus en plus la tendresse, la vraie, la profonde, celle qui résiste au temps et aux déceptions de la chair. Et cette tendresse-là, d’ailleurs, s’augmentait encore de ce que Raymond était moins fortuné qu’elle-même et plus abandonné dans la vie, n’ayant pas eu de père…