Le terme de recours en grâce étant écoulé, les trois prisonniers furent acheminés nuitamment sur la capitale, sous la garde de quatre soldats que commandait un caporal de confiance.
Mais un admirable concours de circonstances devait amener leur délivrance à point nommé. À peine avaient-ils marché deux heures à la lueur des étoiles, que le caporal de confiance tomba percé de deux coups de baïonnette, dont l’un, transperçant les entrailles, lui fit pousser un horrible cri ; tandis que l’autre, traversant l’oreillette gauche, éteignait et le cri et la vie. Cet homme était Jean Baune, le repris de justice, l’assassin de Lantara, caporal de confiance en Vireloup, brigand en Ginvernais, où il allait en congé dévaliser les passants.
Les auteurs de ce beau coup, étaient Blême et Rouget, cette force armée que nous avons laissée au sommet des airs, à la poursuite du docteur Festus, et gardant sous l’influence de l’habit une exacte discipline. Après avoir pirouetté pendant dix jours, sans rencontrer personne qu’un mouton (j’entends un mouton enlevé par un aigle), ils avaient commencé à paraboler vers la terre, en pivotant la tête en bas, à cause du poids des armes ; puis, avec une impétuosité qui tenait plus de la gravitation que de la vaillance, ils s’étaient venus ficher dans l’impie poitrine d’un lâche scélérat. Après quoi ils se défichèrent, et reprirent leur route à travers champs sans aucune discipline. L’habit était trop loin.
Au cri de mort qu’avait exhalé Jean Baune, les quatre soldats, certains d’être tombés dans une affreuse embuscade, s’étaient enfuis à toutes jambes, en déchargeant leurs armes au hasard ; d’où ils tuèrent huit poules dans la basse-cour du sieur Coquard, lequel, dès le lendemain, acheta, pour trois écus patagons, une trappe à prendre les renards.
C’est ainsi que furent merveilleusement délivrés Milord, son épouse et le Maire. Ils purent gagner avant le jour la frontière du royaume de Vireloup, d’où ils s’échappèrent comme des brochets d’une nasse, se promettant bien que jamais ils ne s’y laisseraient reprendre. Leurs infortunes les avaient réconciliés ; en sorte qu’au bout du pont ils se serrèrent la main avant de se séparer, et Milord engagea beaucoup le Maire, lorsqu’il aurait retrouvé ses habits et réglé les affaires de sa commune, à venir le voir en Angleterre, dans son grand château d’Ingleness, où ils chasseraient ensemble au renard.
FIN DU QUATRIÈME LIVRE.