Cependant le docteur Festus, parti de la fosse, s’était mis à courir droit devant lui, jusqu’à ce qu’étant arrivé le soir de ce jour dans le village désert de Brinvigiers, il s’arrêta tout-à-coup pour tomber à la renverse de surprise. C’est qu’il venait d’apercevoir, à la clarté de la lune, un lion d’or qui brillait sur une enseigne.
Nous avons vu en effet qu’à l’époque de son séjour dans le comble d’un moulin à vent, le docteur, après s’être débarrassé non sans peine d’un dilemme captieux sur lequel basculait son entendement, avait fini par s’équilibrer sur cette conclusion-ci, que, couché au n° 8, à l’hôtellerie du Lion-d’Or, il rêvait sagement dans son lit en attendant l’aurore aux doigts de rose ; et c’est bien à cause de cela que plus rien ne l’avait étonné dans le cours de son surprenant voyage. Mais en se voyant ce soir-là replacé en face de cette même hôtellerie dans laquelle il s’était tenu pour couché, endormi, et rêvant en attendant l’aurore aux doigts de rose, sa conclusion lui manqua tout-à-coup sous les pieds, il perdit l’équilibre et tomba sur le dos. Alors doutant plus que jamais de son sens intime, et repassant par toutes les phases de l’idéalisme le plus effréné, le docteur enveloppa dans une même et absolue négation, substance, matière, univers extérieur, hôtellerie, Lion-d’Or, et jusqu’à cette voie publique sur laquelle il demeurait étendu. Surpris ensuite par le sommeil, il s’endormit sur place, passant ainsi, d’une veille qui lui avait semblé un rêve, à un rêve qui ne lui semblait pas une veille, ce qui était bien peu propre à retirer son esprit des espaces diaphanes et incolores, au sein desquels il tournoyait en décrivant une spirale sans commencement et sans terme. Après avoir dormi sans s’en douter, il se réveilla sans s’en apercevoir, pour reprendre sa route sans y songer ; jusqu’à ce qu’ayant vu en face de lui un mulet attaché par la queue à un saule, il ne put s’empêcher de le reconnaître pour le sien propre.