Lunard et Nébulard se trouvaient être les deux autres astronomes de la Société Royale, composée d’ailleurs de tous les hommes marquants du royaume dans les diverses branches des sciences.
Dès qu’on fut sorti, ils s’abordèrent amicalement, quoique brouillés depuis longtemps, et, reprenant les arguments et les conclusions de Guignard, ils les réduisirent en poudre avec la plus grande facilité, poussant la réfutation jusqu’à la plaisanterie, la plaisanterie jusqu’au calembour, et le calembour jusqu’à la bouffonnerie ; au point que Lunard monta sur une borne pour contrefaire les gestes et le ton de son collègue Guignard, d’où il fut signalé à la police comme un radical qui pérorait dans les places ; en sorte qu’il ne fut relâché que sur caution.
Mais dès qu’il fut rentré chez lui, il s’occupa de rédiger sa réfutation, et ayant convoqué la Société Royale, il s’y présenta avec un mémoire de cinq coudées, dans lequel il reprit pas à pas l’argumentation de Guignard, à commencer par la tour de Babel, et à finir par le sextant de Bradley. Ensuite il pulvérisa ses conclusions, et, arrivant à sa propre hypothèse sur le corps céleste en question, il prouva jusqu’à l’évidence que ce n’était autre chose qu’un aérolithe ferrugineux et lunaire, qui devait être classé parmi les météores de seconde classe, et dont la distance était de vingt-huit milliards de lieues et non de cinq, comme on n’avait pas craint de le prétendre.
Pendant ce discours, qui dura neuf heures d’horloge, Nébulard prit des notes constamment, tandis que ses collègues sommeillaient les bras croisés. À la fin ils se réveillèrent tous pour féliciter vivement Lunard, dont ils approuvèrent tous les raisonnements sans exception ; en sorte que Guignard avait réellement du dessous.