II

Depuis le moment où, pour échapper au moulinet de Milord, il s’était réfugié dans le creux de cet arbre, il avait passé des moments délicieux, d’autres qui l’étaient moins. La retraite était profonde, mais bonne, et la vue charmante. Par le trou supérieur, que garnissait comme un riche et moelleux velours une mousse brillante, il voyait l’intérieur des branchages, le feuillage transparent, et au fond l’azur du ciel. Les oiseaux gazouillaient sous ce dôme de verdure, voletant, jouant, se croisant en tous sens, selon qu’ils allaient au nid ou qu’ils en partaient pour picorer dans la prairie d’alentour. Aussi le docteur, se livrant aux impressions qui le dominaient, se mit à classer l’arbre ; il classa ensuite les oiseaux, parmi lesquels il trouva un genre, trente-six espèces, dont deux non encore décrites, qu’il nomma Passer Festusœus, et Passer muliformis (en l’honneur de son mulet) ; enfin neuf variétés, dont sept entièrement nouvelles, qu’il désigna en latinisant les noms de chacune des sept étoiles de la constellation des Pléiades.

Mais quand la nuit fut venue et que les étoiles brillèrent au firmament, il se considéra comme un astronome privilégié qui occuperait le fond d’un vaste télescope. Il vit passer Jupiter, étincelant d’une clarté pure, Saturne brillant au centre de son anneau, Uranus errant dans le lointain des profondeurs, et les autres planètes de notre système solaire. Il vit les douze constellations du zodiaque, comme des diamants sur un dais d’azur qui fuirait mystérieusement dans l’espace. À cette vue, tout rempli d’impressions astronomiques, il s’assura de la parallaxe, il traça la courbe écliptique, il résolut le problème des trois corps, et il calcula en façon d’exercice mental la marche d’une comète possible, décrivant un orbite virtuel de trois milliards de millions de lieues de France, avec la réduction en stades grecs, et en milles romains ; il trouva avec consternation qu’elle couperait notre terre en deux morceaux, dont l’un décrirait une asymptote, et l’autre une spirale, tandis que notre lune se mettrait à pivoter comme une toupie et s’irait ficher au soleil, comme une verrue sur le nez d’un héros ; ce qui lui fit penser à Cicéron et à Scipion Nasica.

La seule chose qui troublait les hautes pensées du docteur, c’était le désordre qui régnait dans sa poche gauche où se livrait un combat à mort. L’arbre se trouvait être la retraite d’un charmant écureuil, qui s’était vu fermer toute issue par l’arrivée d’un nouvel hôte. Après une longue stupeur, le joli animal avait fait quelques essais de sortie, et à force d’agrandir les trous faits par la fourche de George Luçon, à la culotte du docteur, il s’y était introduit, fouillant le sol et grattant le terrain, au grand désagrément du docteur, qui songea aussitôt au géant Titye, mangé vif par un vautour. L’écureuil ayant reconnu qu’il se fourvoyait étrangement, avait passé de la culotte dans la poche qu’occupait le mus œconomus. Là se livra un combat si acharné et si vorace, que le lendemain le docteur n’y retrouva plus que les queues de ces deux animaux qui s’étaient mutuellement dévorés.

Néanmoins quand le calme fut rétabli, le docteur s’occupa d’optique à l’occasion de Syrius qui se réfractait dans la vapeur matinale au-dessus de sa tête, et il en était là lorsque le chêne scié par les bûcherons s’était incliné vers la terre. Aussitôt tout le firmament lui sembla décrire un immense arc de cercle, et l’étoile polaire monter au méridien. Il ne douta plus que sa comète possible n’eût effectué son choc virtuel, et il calcula qu’il devait se trouver sur le morceau qui décrivait l’asymptote. En même temps il éprouvait une extrême raréfaction de l’air, qu’il croyait devoir provenir de ce que la comète avait balayé l’atmosphère avec sa queue, et il sentait des exhalaisons sulfureuses, qu’il attribua à la rupture des grands volcans centraux. Mais lorsque le char se fut mis en marche, et qu’il entendit le bruit distinct d’une rotation ellipsoïde et parabolique, et le conducteur qui répétait fréquemment les mots : zouli ! froment ! il ne douta plus qu’il n’entendît l’idiome d’un habitant de Saturne, car dans ses vingt-deux langues n’entrait pas le patois roman.