XIII

Dans ce moment l’astronome Apogée, savant ginvernais, se promenait à l’œil nu dans sa maison de campagne, à trois lieues de Mirliflis, lorsqu’un des vingt-huit observateurs salariés qu’il employait à regarder le ciel jour et nuit, vint lui annoncer l’apparition du nouveau corps au haut des airs. Aussitôt l’astronome Apogée, après s’être assuré de la chose, fit seller sa jument et s’armant d’une longue vue, galopa jusqu’à Mirliflis sans perdre son astre de vue. D’où il passa sur le ventre de cinq enfants, deux magistrats, trois femmes, neuf canards, cinq cochons d’Irlande et un veau gras, comme je l’ai collationné moi-même sur le procès-verbal qui fut dressé par Jean Patu, mon aïeul maternel, qui était adjoint de l’endroit.

L’astronome Apogée débotta à l’Institut même, qui se trouvait assemblé pour entendre un mémoire sur un nouveau moyen de faire du sucre de raisin avec des têtes de fourmis. Il fendit la presse, poussa droit à la tribune, et n’eut que la force de s’écrier : Une planète immense !… opaque !… allongée !… fortement habitée ! ! Trois satellites ! ! ! (c’étaient les trois perruques). Ici les bravos étouffèrent la voix de l’orateur, et tout l’Institut, par un mouvement spontané, se leva en criant : Trois satellites ! vivent les Barbons ! C’était le nom de la dynastie régnante en Ginvernais.

Dès que le calme le permit, il fut arrêté, séance tenante :

1° Qu’il y avait planète et trois satellites avec habitants ;

2° Que la priorité de la découverte appartenait au Ginvernais ; soit à cause des trois satellites, qui faisaient tout le prix de la découverte, soit éventuellement, parce que Guignard était fils d’un père qui descendait d’un aïeul, dont le grand-père maternel avait épousé la nièce d’une femme du Ginvernais.

Après quoi, l’Institut plein de joie vota une députation au roi, pour le complimenter sur cette découverte, et s’en alla dîner. L’astronome Apogée retourna à sa maison de campagne, où il reçut le soir même la croix d’honneur et le titre de comte, pour lui et ses descendants à perpétuité ; ce qui amena son divorce deux ans après, car il n’eut pas d’enfants de sa première femme.