C’est ainsi que le Maire retrouva son habit et sa force armée, qu’il fit manœuvrer dans la fosse même pendant douze heures d’horloge, tant il avait besoin de se dédommager de ses longues privations. Après quoi il déplora amèrement la perte de son administré, ce qui le privait de l’élément le plus essentiel d’une commune. Puis, réfléchissant qu’également avec trois célibataires sa commune aurait eu bien peu de chances d’accroissement et de durée, il prit le parti de se vouer à la carrière militaire, et il sortit de la fosse, aidé de ses deux soldats, qu’il aida ensuite à s’en sortir eux-mêmes. Cela fait, ils partirent en marquant le pas.
Le Maire continua trois années encore à parcourir le pays à la tête de ses forces, exerçant continuellement ses soldats, leur faisant porter des fardeaux, creuser des fossés, jeter des ponts, coucher à la belle étoile, et marchant toujours à leur tête, le chef nu, comme Trajan, car il avait perdu son chapeau. Et il serait mort dans un âge très-avancé, sans sa grande manœuvre normale, dans laquelle, après neuf heures de marches et de contre-marches en marquant le pas, il commanda tout-à-coup le pas de course au bord du grand canal ; de façon qu’ils y tombèrent tous les trois. Le Maire continua de commander sous l’eau, buvant vingt pintes à chaque exclamation, en sorte que, huit jours après, on le retrouva aussi ballonné que la grande tonne de Heidelberg. La force armée était morte l’arme au bras, tenant l’habit avec les dents, et ils furent ainsi enterrés sous les peupliers qui font face au roc de Mortaise.
Thomas, dit le Fauve, m’a raconté qu’un jour, creusant par là à la poursuite d’une taupe qu’il guettait depuis quinze mois, il découvrit trois squelettes, et fut frappé de voir que deux de chaque côté, présentaient armes à celui du milieu, ayant chacun un bouton d’habit serré entre les os de la mâchoire ; et qu’ayant voulu les déranger, ils se replaçaient toujours de même, ainsi qu’un bâton flottant sur lequel on presse, se relève dès qu’on cesse de le presser. Ce que je rapporte, parce que Thomas me l’a dit, mais sans le certifier véritable, comme je certifie le reste de cette histoire.