VIII

Milord s’était amusé à nager dans le grand canal, après y avoir laissé les fourmis. Celles-ci ne périrent point, mais voguant les unes sur leur brin de paille, les autres sur leur œuf, elles profitèrent du même vent qui avait agité l’habit du maire, pour atteindre à l’autre rive où elles prirent terre par le plus beau temps du monde. Là s’organisant par centuries et décuries, elles formèrent une marche régulière, et, traversant le pré de Joseph Sandoz, elles franchirent pendant la nuit la grande route de Cerlin, (passant sur le corps de Louis Renan, dit le Quarteron, qui revenant des fiançailles de Toinette Redard, s’était couché dans l’ornière pour avoir trop bu de clarette) ; puis, longeant le marais de Chédal, elles vinrent fonder la grande fourmilière qui se voit encore au pied du roc de Mortaise, sous lequel est leur grand grenier central pour les cas de famine.

Pour Milord, ne trouvant plus que sa chemise au saule, il était entré dans une rage concentrée qui peu à peu, s’étant creusé une issue, s’échappa en une débâcle immense de jurons, à commencer par celui de Guillaume-le-Conquérant après la bataille de Hastings, et à finir par celui de Castlereagh approchant le rasoir de son mastoïdien ; de telle façon qu’on y reconnaissait les traces de trente-six dialectes distincts, angles, pictes, saxons, normands et autres, et huit sous-dialectes avec leurs variétés distinctives. Après quoi, il cueillit un sauvageon noueux, et encore furieux il tomba sur un troupeau de moutons qui n’en pouvait mais ; imitant ainsi l’exemple d’Ajax fils de Télamon, lequel se prit des torts de l’industrieux Ulysse, à des béliers camus. Les moutons s’enfuirent à la ferme qui était celle de George Luçon, dit le Trèfle, et y arrivèrent au moment où le docteur Festus, moitié rêvant, moitié veillant, en sortait au point du jour.