Nous avons laissé le Maire cheminant vers sa commune, la tristesse dans l’âme, et pas un texte de loi dans le cœur. Il y était arrivé au bout de cinq jours, et là, s’étant convaincu par ses propres yeux qu’il ne lui restait pas un seul administré, il s’assit sur une auge, et pleura de la bile pure, qui, tombant sur sa chemise, la jaunit amèrement.
Comme il arrive dans les grandes afflictions, la force d’âme du Maire vint à ployer sous le faix et il se démoralisa, perdant toute dignité, et cherchant à se distraire de ses maux dans un tourbillon de plaisirs. D’abord il se livra à la danse, et se donna à lui-même un grand bal dans la grande salle de l’Hôtel-de-Ville, ayant pris les rafraîchissements dans la boutique de Frelay, l’oncle, qui vendait de l’anisette et du pain d’épice. De cette manière le Maire s’étourdit dans les fêtes qui durèrent huit jours : dansant sans cesse et ne s’épargnant aucun rafraîchissement.
Ensuite il se livra à la boisson, s’étant établi dans le cabaret de Roset, au grand pressoir, où il mit tous les tonneaux en perce, et but aussi du bouché ; de façon qu’il chancelait par la rue, tombant sur les bornes, s’acculant aux murailles, se choquant aux tombereaux, et du derrière enfonçant les pavés. Cela dura trois semaines pleines.
Ensuite le Maire se livra à l’extrême dévotion, se faisant ermite dans le fond d’une tonne défoncée, où il se macérait la chair : s’arrachant les cheveux, se laissant croître la barbe, et se fustigeant d’un trousseau de clés, par trois fois le jour. Et il fit ce train de vie un bon mois entier.
Ensuite le Maire s’amollit, se traitant au vin chaud et aux pigeons en sauce, s’habillant de ouate fine, et dormant sous l’édredon, de neuf heures du soir à deux heures après midi ; se mettant alors des papillotes et se graissant de pommade au jasmin, pour aller s’étendre sous l’ombrage efféminé des platanes. Et il suivit cette méthode durant neuf jours.
Ensuite le Maire se livra à l’amour des richesses, et prévariqua dans l’exercice de ses fonctions ; appelant à lui des causes fictives au sujet des meubles et immeubles de sa commune, et s’adjugeant à tout bout de champ les propriétés de ses administrés, tant par prescription que par défaut. Cela dura quinze jours.
Enfin, le Maire, toujours plus démoralisé, et s’ennuyant de posséder toute sa commune immobilière, mit le feu à trois granges, après avoir malignement jeté la pompe à feu dans un puits ; après quoi il alla hypocritement sonner le tocsin pendant trois jours consécutifs, et enfin, au bruit de la cloche, revint à la raison ; d’où il fut sur le point de perdre l’esprit, tant il eut de repentir d’avoir ainsi profané son caractère. Aussi, s’étant choisi une cave en façon de catacombe, il y passa quinze jours dans la douleur puis, s’étant levé, il alla prendre une bêche et se dirigea sur la grande route.