D’autre part, la commune de Primebosse, qui est près de la mer, en Ginvernais, voulait refaire son clocher, par rapport aux événements politiques qui en demandaient un tout neuf ; car le gouvernement d’alors était très religieux, au rebours de celui d’auparavant, qui était très impie. Mais la commune de Primebosse avait grand peine ; car elle était pauvre pour s’être ruinée dans son procès avec celle de Loupgrand, au sujet des pommiers communaux, comme en voici l’histoire.
La commune de Primebosse avait ses pommiers communaux sur la lisière du roc de Milleraye, lequel, taillé à pic, asseyait sa base dans la commune de Loupgrand, servant ainsi de séparation entre les deux. De cette façon les pommiers étaient dans l’une, mais les pommes tombaient dans l’autre ; d’où vint le différend. Car ceux de Primebosse, greulant leurs arbres, faisaient tomber le fruit ; après quoi descendant le roc pour l’aller prendre, volontiers ils ne le trouvaient plus, et soupçonnaient fort ceux de Loupgrand de s’en faire des beignets à l’huile. D’autre part ceux de Loupgrand évitaient de parler beignets, mais se plaignaient fort que ceux de Primebosse greulassent le fruit sur leurs prés, à leur grand détriment, disaient-ils, le foin étant cher, et les regains manqués. Ils s’en voulaient donc, et maintes fois se querellant, ils en venaient aux coups : témoin Jaques André, qu’ils laissèrent pour mort dans un fossé, et ne se remit bien qu’au grand remède, tenant une reinette entre les dents, et tournant le dos au feu jusqu’à ce qu’elle fût cuite. Ce fut en représailles de cette affaire que ceux de Primebosse volèrent quatorze moutons, et de leur roc tuèrent deux ânes à coups de pierres ; en représailles de quoi ceux de Loupgrand vinrent de nuit et mirent le feu aux meules de Jacques André, puis poursuivis, laissèrent trois des leurs sur la place. Sur quoi, le lendemain ils revinrent en nombre, et tuèrent le bouvier de Jaques André qui voulait défendre ses vaches ; après quoi ils saccagèrent les vignes, et enlevèrent onze cochons, dont deux truies pleines, et la jument de Pierre avec son poulain qui la voulut suivre. Ces querelles durèrent neuf ans, au bout desquels ils convinrent qu’on s’en remettrait à la Justice, pour en finir.
La Justice fit le procès-verbal des pommiers, et exhuma tous les actes y relatifs, dont plusieurs dataient du temps de la reine Berthe. Elle revisa tous les papiers des archives des deux communes, et fit comparoir tous les grands-pères et anciens, pour témoigner. Toutes ces choses durèrent sept ans, pendant lesquels les deux communes alimentèrent la Justice par part égale, s’imposant extraordinairement pour ce fait, au point qu’elles s’endettaient à vue d’œil.
Au bout des sept années, la Justice déclara que les pommiers appartenaient à ceux de Primebosse, et les pommes aussi ; mais considérant que si d’une part, ceux de Loupgrand n’avaient aucun droit de manger les pommes susdites, d’autre part, ceux de Primebosse n’avaient aucun droit d’aller les prendre sur le pré de ceux de Loupgrand ; elle conclut en se les adjugeant à perpétuité, pour les frais de la procédure.