XI

La lettre étant parvenue au président de la Société royale, celui-ci convoqua ses collègues ; mais ils étaient encore tellement annihilés par l’effroi qu’avait produit la découverte de Guignard, que huit seulement se rendirent à l’assemblée le jour convenu. Ils décidèrent à la hâte que les savants de Mirliflis s’étaient complètement fourvoyés faute de bons instruments, et arrêtèrent qu’on leur enverrait le meilleur télescope de Ronde-Terre, qui se trouvait être celui de Guignard. En outre, ils nommèrent, pour accompagner l’instrument, une commission de trois membres : c’étaient Guignard, Lunard et Nébulard ; après quoi, ils retournèrent chez eux en toute hâte, pour achever leurs dispositions testamentaires.

Le télescope fut donc chargé sur un char construit exprès, et que tramaient douze paires de bœufs conduits par douze argousins, qui leur piquaient le derrière jour et nuit pour les faire trotter. C’est de cette manière que le docteur Festus reprit son grand voyage d’instruction, jusque-là si heureusement commencé. Il aurait toutefois plus joui de cette promenade, sans la mort-aux-rats qui lui causait des éternuements indomptables. D’ailleurs il se prenait à chaque instant les doigts ou les pieds dans les souricières apposées par Guignard ; mais il prenait patience en songeant que tout cela était rêve, illusion, par conséquent passager et sans réalité.

Le télescope arriva, au bout de cinq jours, au bord de la mer. Là il fut chargé sur un paquebot à vapeur qui devait lui faire passer le détroit, ainsi qu’aux commissaires. Ceux-ci, ayant ordre de ne pas perdre de vue l’instrument, s’y tenaient enfourchés jour et nuit, comme des artilleurs sur leur canon. C’est ainsi que le docteur Festus voyagea sur mer pour la première fois. Mais il éternuait toujours.