Cependant les formes respectueuses et légales qu’avait observées le Maire dans son interrogatoire, ayant intéressé la commission en sa faveur, elle avait décidé d’adresser pour lui au roi une requête en commutation de peine. La requête rédigée, elle fut portée à la capitale par un courrier extraordinaire, à qui les bons citoyens devaient fournir gratuitement sur sa route nourriture, rafraîchissements et chevaux (il en tuait deux à l’heure) ; que je cite, pour montrer avec quel soin le gouvernement paternel de Vireloup évite de surcharger le trésor, ce qui conduit toujours ; à augmenter les impôts. C’est d’après ce même principe qu’il loge ses troupes chez le particulier, et perce ses routes par corvées, comme l’établit dans son grand ouvrage, De itineribus et canalibus, absque œrarii, detrimento, construendis, le sieur Desperraux, architecte pensionné et économiste assermenté, membre de l’académie de Vireloup, directeur des routes et canaux, et premier fabricant de chocolat de Son Altesse Madame la duchesse de Pingoin, nièce du roi de Vireloup.
Au bout de six jours, le courrier descendit à l’hôtel du ministre de l’Intérieur, à qui la requête fut remise. Celui-ci se rendit aussitôt chez le roi, qui, dans ce moment, prenait du punch. Après sept salutations solennelles, il lui remit le papier ; sur quoi le roi lui dit, en posant la feuille sur un guéridon : C’est bon. Allez-vous-en.
En effet, le roi était occupé dans ce moment à observer les jeux de son fils aîné, jeune enfant d’une haute espérance. À peine âgé de quinze ans, il montrait les plus heureuses dispositions, et passait au palais pour devoir être l’honneur d’une dynastie toute de héros. L’on venait, en particulier, au moment où était entré le ministre, de lui découvrir une haute aptitude pour l’art nautique, sur ce que, de lui-même et sans aucun secours des personnes de l’art, il venait de faire un petit bateau de papier, et que, l’ayant posé sur le bol de punch, il avait eu l’idée de le faire cheminer en soufflant dessus. À ce trait d’une rare précocité, les courtisans avaient manifesté la plus vive admiration, au point que plusieurs s’embrassaient en forme de félicitation, étant glorieux d’avoir à servir sous un tel prince. Aussi le petit bonhomme voulant renchérir encore sur ce qu’il avait fait, prit la requête sur le guéridon, la divisa en quatre parts, dont il fit quatre nouveaux navires, et les posant sur le bol, il fit manœuvrer cette flotte en criant : tribord ! bâbord ! pendant que les courtisans en étaient à se pâmer, faute de s’être réservé des expressions assez fortes pour peindre leur délicieuse surprise. Le roi enchanté, nomma aussitôt son fils grand-amiral et commandant en chef de toutes les flottes du royaume.