XIII

Pendant que le docteur apercevait sans s’en apercevoir les girouettes de sa maison, le mulet, de son côté, venait d’entrevoir, au beau milieu d’une pelouse fleurie, l’âne de Provence son père, et la haute jument poulinière sa mère, qui paissaient en liberté. À ce spectacle, il fit une telle pétarade de joie, que le docteur, après avoir tourné sur lui-même cent soixante-neuf fois, se trouva lancé à une hauteur de vingt-huit coudées. À la vingt-septième coudée, il avait perdu connaissance, mais en retombant, il rasa la branche maîtresse d’un noyer de douze ans, où sa chemise s’étant par bonheur accrochée, il demeura suspendu, après avoir oscillé longtemps, par le fait de l’élasticité de la branche. Quand il n’oscilla plus du tout, des corbeaux, qui s’étaient enfuis au moment de la chute, revinrent en foule, et s’étant perchés sur les branches voisines, ils ressemblaient à une société d’hommes graves, qui préludent à un grand banquet, en savourant des yeux le mets principal.

Cependant Antoine, le fermier du docteur, et son fils Bénedict, qui faisaient leurs semailles de l’autre côté de la haie, entendant l’âne de Provence braire plus mélodieusement que de coutume, tournèrent la tête, et ils virent les trois bêtes chevalines jouant, ruant, pétaradant à qui mieux mieux ; en particulier le mulet, qu’ils reconnurent tout de suite, malgré la corde de Pécot qui lui pendait à la queue. Alors, inquiets de le voir ainsi revenir au logis sans y rapporter son maître, ils quittèrent leurs semailles, et ils s’en allaient à travers champs du côté de la grande route, comme pour s’assurer par leurs propres yeux si le docteur n’arrivait point à la suite de sa monture, lorsqu’ils le virent qui pendait à la branche maîtresse du noyer de douze ans. Aussitôt, montant sur l’arbre, ils décrochèrent le docteur avec précaution, et ils le descendirent à terre ; puis, après s’être assurés qu’il respirait encore, ils le transportèrent au logis, où ils bassinèrent son lit, le placèrent dedans et attendirent qu’il plût au bon Dieu de le rappeler à la parole et au mouvement.

Le docteur Festus revint à lui dès cette nuit même, vers une heure du matin, mais ce fut pour tomber immédiatement dans un profond sommeil, qui dura vingt jours et vingt nuits consécutifs, car il avait grand besoin de repos. Durant ce sommeil, il rêva par deux fois toute l’histoire babylonienne, sept cents généalogies polyglottes et synchronistiques, quatre-vingts thèses insoutenables et néanmoins démontrées, trente-six possibilités philosophiques, huit cosmogonies et des lieux intrinsèques et extrinsèques par centaines. Mais à la fin, ayant rêvé que, monté sur la biche de Sertorius et armé de l’épée de Charlemagne, il pourfendait un alchimiste barbu, armé d’une cornue massive et monté sur un in-folio bucéphalique, il se réveilla en sursaut, juste au moment où l’aurore aux doigts de rose répandait ses timides clartés sur les coteaux baignés de rosée, et sur les pommiers chevelus du paisible verger.

Le docteur Festus, en voyant à son réveil le verger, son cabinet, son lit, ses livres et toutes choses dans l’état où il les avait laissées cinq mois auparavant en s’allant coucher, eut enfin la preuve palpable qu’il avait réellement rêvé, dans les moments même où il avait le plus douté qu’il rêvât. Aussi, rafraîchi par le sommeil, et définitivement délivré de son dilemme captieux, il se leva parfaitement dispos, fit seller son mulet, et partit le matin même pour le voyage d’instruction qu’il pensait n’avoir pas accompli.

S’il y a lieu, et si le Ciel nous conserve vie et santé, nous raconterons quelque jour les choses qui advinrent au Docteur dans ce second voyage.

FIN