L’astronome Apogée, après une nuit délicieuse, se réveillait au murmure flatteur de ses souvenirs de la veille, lorsqu’il entendit ses vingt-huit observateurs salariés monter l’escalier, frapper à sa porte, et demander la permission d’entrer. Madame Apogée cria aussitôt : Gardez-vous-en bien ! tandis que M. Apogée leur criait en même temps : Encore un astre ! entrez. Cette injonction contradictoire tint les vingt-huit observateurs salariés en suspens, de façon que madame Apogée eut le temps de passer un peignoir, et M. Apogée un caleçon ; après quoi il alla ouvrir. Mais il fut terrassé de frayeur à la vue de ses vingt-huit observateurs salariés, dont les vingt-huit mâchoires craquaient de consternation. – Enfin, qu’est-ce, Messieurs ? parlez-donc, leur dit madame Apogée, en peignoir. Alors, sans rien dire, ils fondirent en larmes, et ni monsieur ni madame Apogée n’osaient plus les interroger, pressentant quelque chose de sinistre.
À la fin, les vingt-huit observateurs salariés, ayant poussé un grand soupir, s’écrièrent : L’astre n’y est plus ! Aussitôt M. Apogée, comme il arrive souvent dans le passage brusque de l’extrême joie à l’extrême douleur, perdit momentanément l’esprit, et se mit à chanter la romance :
Lise, entends-tu l’orage ?
Il gronde, et l’air mugit ;
Sauvons-nous au bocage, etc. etc.
Puis il chanta celle-ci :
Je n’irai plus seulette à la fontaine,
Car j’ai trop peur du berger Collinet.
Puis il força madame Apogée à danser le menuet, et à la cinquième révérence, planta là sa femme, et s’alla précipiter de la fenêtre dans le jardin. Heureusement, sa chambre étant au rez-de-chaussée, il ne se fit d’autre mal que de tacher son caleçon.
Madame Apogée, au désespoir, courut au jardin, en peignoir, suivie des vingt-huit observateurs salariés, dont les dents craquaient toujours plus fort. Ils trouvèrent M. Apogée qui s’était perché sur le sommet d’un pommier, dont il cueillait les fruits avec une grande activité. Madame Apogée, en peignoir, supplia son mari de descendre, en même temps qu’elle ordonnait aux vingt-huit observateurs salariés d’aller chercher une échelle. Ceux-ci revinrent, et l’ayant appliquée contre le tronc, ils y montèrent pour aller enlever leur maître. Mais lorsque M. Apogée les vit tous sur les échelons, il poussa l’échelle du pied, et les vingt-huit observateurs salariés tombèrent, le dos parmi les choux et l’échelle sur le ventre. Aussitôt M. Apogée s’écria : À moi ! Ajax, à moi ! d’Assas, Condé, Achille, Pichrocole, Hector, Charles XII, Ticho-Braé ! et en même temps leur lançait des pommes sur le nez, avec une rapidité et une adresse vraiment fébriles et délirantes. Alors les vingt-huit crièrent : Sauve qui peut ! et s’enfuirent en divergeant par les prés, les vignes et les potagers, malgré les cris de madame Apogée, en peignoir, qui les suppliait de rester.
Pendant ce temps M. Apogée, en caleçons, riait avec une telle véhémence, qu’entrant en faiblesse, il se laissa dévaler parmi les branchages, et tomba, riant toujours, dans le terreau, où il resta moulé comme un bronze dans du plâtre frais.
C’est là que madame Apogée, en peignoir, retrouva son mari en caleçons, qu’elle fit aussitôt transporter dans sa chambre et attacher sur son fauteuil. La chute et la fraîcheur du terreau ayant produit une révolution dans le sang, il revint bientôt à la raison, en même temps que son rire se changeait en une tristesse amère et profonde. Insensible à tout, il ne pouvait que dire avec un lugubre accent : Ah ! mon astre ! mon astre ! Madame Apogée lui fit aussitôt avaler des boissons chaudes, pendant qu’on lui frictionnait le derrière avec un étui de lunette en peau de chagrin, et que deux aides-chirurgiens lui appliquaient les ventouses, tandis qu’un troisième lui ajustait, d’autre part, un remède rafraîchissant. Ah ! mon astre ! mon astre ! disait-il. Et madame Apogée, en peignoir, lui répétait chaque fois : Console-toi, Salomon, il en viendra d’autres.
Tout-à-coup M. Apogée se leva en sursaut, ce qui jeta par terre ses opérateurs, et dit : Bien ; laissez-moi. Il se rendit ensuite à son bureau, où il écrivit à tire de plume un mémoire de trois coudées, dans lequel il établissait jusqu’à l’évidence :
1° Que l’astre ayant un mouvement propre extraordinairement rapide (cent mille lieues par seconde), il n’était déjà plus visible pour notre terre.
2° Qu’ayant calculé la courbe, l’astre ne reviendrait qu’après trois mille milliards d’années, l’orbite étant extraordinairement allongée.
Il lut ce mémoire à l’Institut, et voyant son honneur à couvert pour trois mille milliards d’années, il rentra chez lui frais, dispos, guéri et comte.
FIN DU CINQUIÈME LIVRE.