J’en viens maintenant à la conclusion de cette extraordinaire aventure qui éclipse toutes les autres, non seulement celles de nos médiocres existences individuelles, mais encore celles de l’histoire générale de l’espèce humaine. Comme je l’ai dit au début de mon récit lorsque j’ai commencé à retracer les faits, voilà une expérience qui surpasse tous les événements comme une cime de montagne s’élève au-dessus des contreforts qui l’entourent. Notre génération est promise à un destin bien spécial puisqu’elle a été choisie pour témoigner d’une chose aussi miraculeuse ! L’avenir seul nous dira combien de temps l’effet en aura duré, jusqu’à quand l’humanité aura conservé l’humilité et le respect que ce grand choc lui a enseignés. Il est normal d’écrire, je crois, que les choses ne redeviendront jamais ce qu’elles étaient avant. Personne ne peut réaliser l’étendue de son impuissance et de son ignorance, ni sentir comment il est soutenu par une main invisible tant que cette main ne se referme pas un instant pour le broyer. La mort a été suspendue au-dessus de nos têtes. Nous savons qu’à tout moment elle peut revenir. Sa présence lugubre assombrit nos existences ; mais qui peut nier que sous cette ombre le sens du devoir, le sentiment de la responsabilité, une juste appréciation de la gravité de la vie et de ses fins, l’ardent désir de nous développer et de progresser se sont accrus, et que nous avons fait entrer toutes ces considérations dans nos réalités quotidiennes au point que notre société en est transformée du tout au tout ? Par-delà les sectarismes, par-delà les dogmes, quelque chose existe : disons un changement de perspectives, une modification de notre échelle des proportions, la compréhension de notre insuffisance et de notre fragilité, la certitude formelle que nous existons par tolérance, que notre vie est suspendue au premier vent un peu froid qui souffle de l’inconnu. Mais de ce que le monde est devenu plus grave, il ne s’ensuit pas, selon moi, qu’il soit devenu plus triste. Sûrement, nous convenons que les plaisirs sobres et modérés du présent sont plus profonds et plus sages que les folles bousculades bruyantes qui passaient si souvent pour la joie dans les temps d’autrefois – ces temps si proches et pourtant si inconcevables aujourd’hui ! Les existences, dont on gaspillait le vide dans les visites qu’on recevait et qu’on rendait, dans le vain entretien fastidieux des grandes maisons, dans la préparation de repas compliqués et pénibles, ont maintenant trouvé à se remplir sainement dans la lecture, la musique, et la douce communion de toute une famille. Des plaisirs plus vifs et une santé plus florissante les ont rendues plus riches qu’auparavant, même après qu’aient été acquittées ces contributions accrues au fonds commun qui a ainsi élevé le standard de vie dans les îles Britanniques.
Les opinions divergent sur l’heure exacte du grand réveil. On s’accorde généralement pour admettre que, compte tenu des différences d’heures, il a pu y avoir des causes locales qui influençaient l’action du poison. Assurément, dans chaque commune prise à part, la résurrection a été pratiquement simultanée. De nombreux témoins affirment que Big Ben marquait six heures dix. La Société royale des astronomes l’a fixée à dix heures douze à l’heure de Greenwich. D’autre part, Laird Johnson, observateur très compétent de l’East Anglia, a noté dix huit heures vingt. Aux Hébrides, on l’enregistra à dix neuf heures. Dans notre cas, il ne peut y avoir aucun doute, car j’étais assis dans le bureau de Challenger et j’avais en face de moi mon chronomètre : il marquait six heures et quart.
Une incommensurable dépression s’était abattue sur moi. L’effet cumulatif de tous les spectacles horribles que nous avions vus au cours de notre voyage du matin pesait lourdement sur mon âme. Étant donné ma santé surabondante de jeune animal et ma grande énergie physique, je ne me laissais jamais assombrir facilement ! Je possédais la faculté irlandaise de discerner toujours une étincelle d’humour dans n’importe quelle situation bien noire. Mais pour une fois j’étais oppressé, découragé. Les autres se trouvaient en bas, ils bâtissaient des projets d’avenir. Moi, j’étais allé près de la fenêtre ouverte, et le menton appuyé dans ma main, je méditais sur la misère de notre position. Pourrions-nous continuer à vivre ? Du moins, c’était la question que je me posais pour moi-même. Était-il possible de vivre sur un monde mort ? De même qu’en physique le corps le plus grand attire et entraîne le plus petit, ne subirions-nous pas l’insurmontable puissance d’attraction de cette immense humanité qui avait fait le saut dans l’inconnu ? Et comment notre vie se terminerait-elle ? Par un retour offensif du poison ? Ou bien la terre deviendrait-elle inhabitable sous l’effet du pourrissement des corps ? Et je redoutais aussi que notre affreuse situation ne finît par nous faire perdre notre équilibre mental… Alors, une équipe de fous sur un monde mort ? Mon esprit était en train de se nourrir de cette déplorable perspective lorsqu’un bruit léger m’a fait tourner la tête vers la route en dessous de moi : le vieux cheval du fiacre montait la côte !
Au même instant, j’ai pris conscience que les oiseaux recommençaient à gazouiller, que dans la cour quelqu’un toussait, et que tout le paysage semblait se mettre en mouvement. Mais je me rappelle bien que c’est cette antique haridelle, absurde, décharnée, grotesque, qui a capté d’abord mon attention. Puis mes yeux se sont portés vers le cocher remonté sur son siège, vers le jeune homme qui était penché par la portière pour ordonner une direction à prendre : indiscutablement – agressivement ! – ils étaient rendus à la vie.
Les hommes s’étaient remis à vivre ! Avais-je donc subi alors une hallucination ? Cette histoire d’une ceinture empoisonnée autour de la terre n’aurait-elle été qu’un cauchemar ? Pendant quelques instants, ahuri, j’ai été disposé à le croire. Puis j’ai regardé mes mains : il y avait toujours les ampoules que je m’étais faites en sonnant les cloches de Sainte Marie. Je n’avais pas rêvé. Et cependant le monde ressuscitait : c’était la marée de la vie qui cette fois submergeait la planète. Mes regards fouillaient la campagne : tout recommençait, tout repartait de l’endroit même où tout s’était arrêté. Les joueurs de golf, par exemple : allaient-ils reprendre leur partie ? Oui, l’un d’eux exécutait un drive ; d’autres, sur un green, se remettaient à putter vers le trou. Quant aux moissonneurs, ils se dirigeaient lentement vers les champs. La gouvernante avait hissé sur un bras son bébé, et de l’autre elle poussait la petite voiture vers le haut de la côte. Chacun renouait avec insouciance le fil de sa vie à l’endroit même où il avait été cassé.
J’ai dévalé l’escalier, mais la porte du vestibule était ouverte, et j’ai entendu dans la cour les voix de mes compagnons, leurs exclamations de surprise, leurs congratulations… Ah ! les poignées de main que nous avons échangées, et ces rires ! Mme Challenger, dans son émotion, nous a tous embrassés avant de se jeter dans les pattes d’ours de son mari.
– Mais enfin, ils n’étaient pas endormis ! s’est écrié lord John. Au diable tout cela, Challenger ! Vous croyez, vous, que ces gens dormaient avec les yeux ouverts, leurs membres rigides, et cet affreux sourire grimaçant sur le visage ?
– Ils étaient sans doute tombés en catalepsie, a répondu Challenger. C’est un phénomène assez rare, qu’autrefois on a souvent confondu avec la mort. Pendant que le sujet est dans cet état, sa température tombe, la respiration disparaît, le battement du cœur est imperceptible… En fait, c’est la mort, avec cette différence que c’est une mort provisoire. L’intelligence la plus compréhensive…
Ici, il a fermé les yeux et a souri avec suffisance.
–… aurait eu du mal à concevoir une catalepsie universelle éclatant sous cette forme.
– Vous pouvez l’appeler catalepsie, a fait observer Summerlee. Mais en somme, c’est un nom, rien de plus ! Et nous ne connaissons pas davantage ses effets que le genre de poison qui l’a provoquée. Tout ce que nous pouvons dire se borne à ceci : l’éther vicié a provoqué une mort provisoire.
Austin était assis sur le marchepied de la voiture. C’était sa toux que j’avais entendue tout à l’heure. Il avait gardé le silence tout en se frictionnant la tête, mais maintenant il marmonnait en contemplant la voiture.
– Jeune imbécile ! grommela-t-il. Il faut toujours qu’il touche à quelque chose !
– Qu’est-ce qu’il y a, Austin ?
– L’huile coule, monsieur. Quelqu’un s’est amusé avec la voiture. Je pense que c’est le gosse du jardinier, monsieur.
Lord John a pris un air coupable.
« Je ne sais pas ce qui cloche, a poursuivi Austin, en se mettant péniblement debout. Je me rappelle que je me suis senti devenir bizarre pendant que je lavais la voiture. Je crois que je suis tombé sur le marchepied. Mais je jure bien que j’avais pensé à l’huile !
Un récit succinct des événements lui a alors été fait ; Austin a appris du même coup ce qui lui était arrivé, à lui et au monde entier. Le mystère de l’huile lui a été expliqué. Il nous a écoutés en manifestant un mépris visible pour l’amateur qui avait conduit sa voiture, mais un très vif intérêt pour le compte rendu de notre voyage dans la City endormie. Je me souviens de son commentaire :
– Vous vous êtes donc trouvé près de la Banque d’Angleterre, monsieur ?
– Oui, Austin.
– Et il y avait tous ces millions à l’intérieur, et tout le monde dormait ?
– Mais oui, Austin !
– Et je n’étais pas là ! a-t-il gémi avant de se détourner pour reprendre son tuyau d’arrosage.
Des roues ont grincé sur le gravier. Le vieux fiacre s’est arrêté devant la porte de Challenger. J’ai vu le jeune occupant en sortir. Un instant plus tard, la bonne, qui semblait aussi ahurie que si on l’avait arrachée au sommeil le plus profond, a apporté sur un plateau une carte de visite. Quand il l’a lue, Challenger a reniflé avec férocité, et son épaisse barbe noire s’est agitée.
– Un journaliste ! a-t-il rugi.
Puis un sourire méprisant a élargi sa bouche :
– Après tout, il est naturel que le monde entier soit pressé d’apprendre ce que je pense d’un tel événement !
– Ce n’est certainement pas là l’objet de sa course, a dit Summerlee, car votre journaliste était déjà sur la route dans son fiacre avant que ne commençât la catastrophe.
J’ai pris la carte et j’ai lu : « James Baxter, correspondant à Londres du New York Monitor ».
– Le verrez-vous ? ai-je demandé.
– Pas moi !
– Oh ! George ! Tu devrais être plus sociable, plus aimable ! Est-il possible que tu n’aies tiré aucune leçon de cette aventure ?
– Tut, tut ! s’est-il borné à répondre en secouant sa tête aussi volumineuse qu’entêtée.
Et puis il a explosé :
« Une engeance empoisonnée, eh ! Malone ? La pire espèce de la civilisation moderne ! Un instrument de charlatanisme, l’obstacle à tout progrès humain ! Quand les journalistes ont-ils jamais dit une bonne parole sur mon compte ?
– Et vous ? Quand avez-vous jamais tenu un propos équitable sur leur compte ? ai-je répliqué. Voyons, monsieur, c’est un étranger qui s’est déplacé pour vous voir. Je suis sûr que vous ne le décevrez pas.
– Bon, bon ! a-t-il grommelé. Venez avec moi, et parlez en mon nom. Par avance, je proteste contre une intrusion aussi offensante dans ma vie privée.
Grognant, grondant, il m’a suivi comme un dogue en colère.
Le jeune Américain était tiré à quatre épingles ; il a sorti son carnet de notes, et à pieds joints il a sauté dans le sujet.
– Je suis venu, monsieur, parce que notre peuple, aux États-Unis, désire être averti du danger qui, selon vous, menace grandement le monde.
– Je ne connais pas de danger qui menace grandement le monde, a répondu Challenger d’une voix bourrue.
Le journaliste l’a dévisagé avec étonnement.
– Je veux parler, monsieur, de l’éventualité, selon laquelle le monde pourrait être enveloppé d’une ceinture d’éther empoisonné.
– Je ne redoute à présent aucun danger de ce genre.
La perplexité du journaliste s’est visiblement accrue.
– Vous êtes bien le Pr Challenger, n’est-ce pas ?
– Oui, monsieur.
– Alors je ne peux pas comprendre comment vous pouvez dire qu’un tel danger n’existe pas. Dois-je vous rappeler votre propre lettre au Times, qui a paru sous votre signature dans l’édition de ce matin ?
À son tour, Challenger a paru étonné.
– Ce matin ? Il n’y a pas eu de Times publié à Londres ce matin.
– Certainement si, monsieur ! a dit l’Américain sur un ton de doux reproche. Vous admettez bien que le Times est un journal quotidien… – Voici la lettre à laquelle je me réfère.
Il a tiré de sa poche un exemplaire du Times. Challenger a gloussé de joie et s’est frotté les mains.
– Je commence à comprendre. Ainsi, c’est ce matin que vous avez lu cette lettre ?
– Oui, monsieur.
– Et aussitôt vous êtes venu m’interviewer ?
– Oui, monsieur.
– Avez-vous remarqué quelque chose d’anormal pendant votre voyage jusqu’ici ?
– Hé bien ! monsieur, pour dire le vrai, vos compatriotes m’ont semblé plus vivants et plus humains que d’habitude. Le convoyeur de bagages est sorti du fourgon pour me raconter une histoire drôle : dans ce pays, c’était vraiment une nouvelle expérience pour moi.
– Rien d’autre ?
– Ma foi, non, monsieur. Rien dont je ne me souvienne en tout cas.
– Voyons, quand avez-vous quitté la gare de Victoria ?
L’Américain a souri.
– Je suis venu pour vous interviewer, professeur, mais j’ai l’impression que vous renversez les rôles…
– Figurez-vous que cela m’intéresse. Vous rappelez-vous l’heure de votre départ ?
– Bien entendu. Il était midi et demi.
– Et vous êtes arrivé à… ?
– Deux heures et quart.
– Et vous avez pris un fiacre ?
– En effet.
– Quelle distance pensez-vous qu’il y a entre ici et la gare ?
– Trois kilomètres, au moins.
– Alors, combien de temps faut-il, à votre avis, pour franchir ces trois kilomètres ?
– Eh bien ! peut-être une demi-heure, avec ce cheval asthmatique.
– Donc, il devrait être trois heures ?
– Oui, à peine davantage.
– Regardez votre montre.
L’Américain a obéi, et la stupéfaction s’est peinte sur son visage.
– Mais dites donc, elle est arrêtée ! Ce cheval a cassé tous les ressorts, c’est sûr ! Le soleil est assez bas, maintenant que j’y pense… Oh ! il se passe quelque chose ici que je ne comprends pas !
– Vous n’avez aucun souvenir d’un incident quelconque pendant que vous grimpiez la côte ?
– Écoutez, il me semble me rappeler qu’à un moment donné j’ai eu une forte envie de dormir… Et puis, cela me revient maintenant que je voulais dire quelque chose au cocher, et qu’il ne m’entendait pas. J’ai cru que c’était la chaleur, mais je me suis senti un instant des vertiges… C’est tout.
– Il en est de même pour toute l’espèce humaine ! m’a dit Challenger. Un instant, ils se sont tous senti des vertiges. Personne n’a encore réalisé ce qui est arrivé. Et tous reprendront leur travail interrompu, comme Austin qui a ramassé son tuyau d’arrosage, ou leur partie, comme les golfeurs. Votre rédacteur en chef, Malone, continue de préparer son journal, et il sera stupéfait un jour quand il découvrira qu’il manque un numéro… Oui, mon jeune ami, a-t-il ajouté à l’adresse du journaliste américain, et avec une soudaine poussée de bonne humeur, cela peut vous intéresser de savoir que le monde a traversé le courant empoisonné qui tournoie dans l’éther comme le Gulf Stream dans l’océan. Et vous voudrez bien noter aussi, pour votre commodité et vos rendez-vous, que nous ne sommes pas aujourd’hui vendredi 27 août, mais samedi 28 août : vous êtes resté sans connaissance dans votre fiacre pendant vingt-huit heures sur la côte de Rotherfield.
Et là, je pourrais mettre un point final à ce récit. Vous vous êtes peut-être rendu compte, en le lisant, qu’il n’est qu’une version plus complète et plus détaillée du reportage qui a été publié le lundi suivant dans la Daily Gazette (reportage qui a été généralement considéré comme la plus grand exclusivité journalistique de tous les temps, et qui a fait vendre trois millions et demi d’exemplaires du journal). Encadrées sur le mur de mon bureau, ces manchettes somptueuses en disent long :
LE MONDE DANS LE COMA PENDANT 28 HEURES
EXPÉRIENCE SANS PRÉCÉDENT
CHALLENGER AVAIT RAISON
NOTRE CORRESPONDANT EST ÉPARGNÉ
SON RÉCIT SENSATIONNEL
LA CHAMBRE À OXYGÈNE
UNE RANDONNÉE FANTASTIQUE
LONDRES DANS LA MORT
LA PAGE MANQUANTE EST RETROUVÉE
GRAVES INCENDIES – NOMBREUX MORTS
CE PHÉNOMÈNE RISQUE-T-IL DE SE REPRODUIRE ?
Au-dessous de ce chapeau glorieux s’allongeaient neuf colonnes et demie de texte : l’unique, premier et dernier rapport sur l’histoire de la planète (telle du moins qu’un seul observateur pouvait la relater) pendant la plus longue journée de son existence. Dans un article voisin, Challenger et Summerlee traitaient le sujet sur le plan scientifique, mais à moi seul était dévolu le soin du reportage. Certainement, je peux chanter : Nunc dimittis ! Car ma carrière de journaliste ne connaîtra plus semblable apothéose.
Mais je ne voudrais pas terminer sur des manchettes à sensation ni sur un triomphe personnel. Permettez-moi de citer, pour conclure, les dernières phrases retentissantes de l’admirable éditorial publié par le plus grand quotidien du monde (éditorial que tout homme réfléchi devrait méditer) :
« Un truisme bien éculé, a dit le Times, affirmait que notre espèce humaine était une foule désarmée devant les forces latentes infinies qui nous environnent. Émanant des prophètes antiques et des philosophes contemporains, ce même message, qui était un avertissement, nous a été maintes fois adressé. Mais comme toutes les vérités trop souvent répétées, il avait perdu de son actualité et de sa puissance. Il fallait une leçon, ou une expérience saisissante, pour lui redonner vigueur. Nous venons d’émerger d’une épreuve salutaire mais terrible. Nos esprits sont encore stupéfaits de sa soudaineté, mais nos cœurs ont été radoucis parce que nous avons mesuré nos limites et nos infirmités. Pour apprendre, le monde a payé un prix épouvantable. Nous ne connaissons encore qu’imparfaitement l’étendue du désastre ; mais la destruction par le feu de New York, d’Orléans, de Brighton constitue en soit l’une des plus grandes tragédies de l’histoire humaine. Quand le bilan des sinistres maritimes et des catastrophes de chemins de fer sera établi, sa lecture provoquera l’effroi de tous. Et cependant, dans la majorité des cas, les mécaniciens des trains et des paquebots sont parvenus à couper la pression avant de succomber au poison. Mais nous laisserons de côté aujourd’hui les considérations relatives aux dommages matériels, pourtant si importants en vies et en biens. Le temps permettra d’ailleurs de les effacer. Ce qui ne doit pas être oublié, par contre, ce qui doit obséder constamment notre imagination, c’est la révélation des possibilités de l’univers, et la démonstration que l’étroit sentier sur lequel est engagée notre existence physique se trouve bordé d’abîmes insondables. À la base de notre émotion actuelle, la gravité se mêle à l’humilité. Puissent-elles toutes deux servir de fondations au temple plus digne que construira, nous l’espérons, une race mieux informée et que le respect inspirera davantage. »