10 – Le petit chien

 

La vanité nous rend aussi dupes que sots.

Je me souviens, à ce propos,

Qu’au temps jadis, après une sanglante guerre

Où, malgré les plus beaux exploits,

Maint lion fut couché par terre,

L’éléphant régna dans les bois.

Le vainqueur, politique habile,

Voulant prévenir désormais

Jusqu’au moindre sujet de discorde civile,

De ses vastes états exila pour jamais

La race des lions, son ancienne ennemie.

L’édit fut proclamé. Les lions affaiblis,

Se soumettant au sort qui les avait trahis,

Abandonnent tous leur patrie.

Ils ne se plaignent pas, ils gardent dans leur cœur

Et leur courage et leur douleur.

Un bon vieux petit chien, de la charmante espèce

De ceux qui vont portant jusqu’au milieu du dos

Une toison tombant à flots,

Exhalait ainsi sa tristesse :

Il faut donc vous quitter, ô pénates chéris !

Un barbare, à l’âge où je suis,

M’oblige à renoncer aux lieux qui m’ont vu naître.

Sans appui, sans secours, dans un pays nouveau

Je vais, les yeux en pleurs, demander un tombeau,

Qu’on me refusera peut-être.

Ô tyran, tu le veux ! Allons ! Il faut partir.

Un barbet l’entendit : touché de sa misère,

Quel motif, lui dit-il, peut t’obliger à fuir ?

– Ce qui m’y force, ô ciel ! Et cet édit sévère

Qui nous chasse à jamais de cet heureux canton… ?

– Nous ? – non pas vous, mais moi. – comment ! Toi,

Mon cher frère ?

Qu’as-tu donc de commun… ? – plaisante question !

Eh ! Ne suis-je pas un lion ?