15 – Le procès des deux renards

 

Que je hais cet art de pédant,

Cette logique captieuse,

Qui d’une chose claire en fait une douteuse,

D’un principe erroné tire subtilement

Une conséquence trompeuse,

Et raisonne en déraisonnant !

Les grecs ont inventé cette belle manière.

Ils ont fait plus de mal qu’ils ne croyaient en faire.

Que Dieu leur donne paix ! Il s’agit d’un renard,

Grand argumentateur, célèbre babillard,

Et qui montrait la rhétorique.

Il tenait école publique,

Avait des écoliers qui payaient en poulets.

Un d’eux qu’on destinait à plaider au palais

Devait payer son maître à la première cause

Qu’il gagnerait : ainsi la chose

Avait été réglée et d’une et d’autre part.

Son cours étant fini, mon écolier renard

Intente un procès à son maître,

Disant qu’il ne doit rien. Devant le léopard

Tous les deux s’en vont comparaître.

Monseigneur, disait l’écolier,

Si je gagne, c’est clair, je ne dois rien payer ;

Si je perds, nulle est sa créance :

Car il convient que l’échéance

N’en devait arriver qu’après

Le gain de mon premier procès ;

Or, ce procès perdu, je suis quitte, je pense :

Mon dilemme est certain. Nenni,

Répondait aussitôt le maître :

Si vous perdez, payez, la loi l’ordonne ainsi ;

Si vous gagnez, sans plus remettre,

Payez, car vous avez signé

Promesse de payer au premier plaid gagné :

Vous y voilà. Je crois l’argument sans réponse.

Chacun attend alors que le juge prononce,

Et l’auditoire s’étonnait

Qu’il n’y jetât pas son bonnet.

Le léopard rêveur prit enfin la parole :

Hors de cour, leur dit-il ; défense à l’écolier

De continuer son métier,

Au maître de tenir école.