5 – Le troupeau de Colas

 

Dès la pointe du jour, sortant de son hameau,

Colas, jeune pasteur d’un assez beau troupeau,

Le conduisait au pâturage.

Sur sa route il trouve un ruisseau

Que, la nuit précédente, un effroyable orage

Avait rendu torrent : comment passer cette eau ?

Chien, brebis et berger, tout s’arrête au rivage.

En faisant un circuit l’on eût gagné le pont ;

C’était bien le plus sûr, mais c’était le plus long :

Colas veut abréger. D’abord il considère

Qu’il peut franchir cette rivière ;

Et, comme ses béliers sont forts,

Il conclut que sans grands efforts

Le troupeau sautera. Cela dit, il s’élance ;

Son chien saute après lui ; béliers d’entrer en danse,

À qui mieux mieux, courage, allons !

Après les béliers, les moutons ;

Tout est en l’air, tout saute, et Colas les excite,

En s’applaudissant du moyen.

Les béliers, les moutons, sautèrent assez bien :

Mais les brebis vinrent ensuite,

Les agneaux, les vieillards, les faibles, les peureux,

Les mutins, corps toujours nombreux,

Qui refusaient le saut ou sautaient de colère,

Et, soit faiblesse, soit dépit,

Se laissaient choir dans la rivière.

Il s’en noya le quart ; un autre quart s’enfuit,

Et sous la dent du loup périt.

Colas, réduit à la misère,

S’aperçut, mais trop tard, que pour un bon pasteur

Le plus court n’est pas le meilleur.