11 – L’éléphant blanc

 

Dans certains pays de l’Asie

On révère les éléphants,

Surtout les blancs.

Un palais est leur écurie,

On les sert dans des vases d’or,

Tout homme à leur aspect s’incline vers la terre,

Et les peuples se font la guerre

Pour s’enlever ce beau trésor.

Un de ces éléphants, grand penseur, bonne tête,

Voulut savoir un jour d’un de ses conducteurs

Ce qui lui valait tant d’honneurs,

Puisqu’au fond, comme un autre, il n’était qu’une bête.

Ah ! Répond le cornac, c’est trop d’humilité ;

L’on connaît votre dignité,

Et toute l’Inde sait qu’au sortir de la vie

Les âmes des héros qu’a chéris la patrie

S’en vont habiter quelque temps

Dans les corps des éléphants blancs.

Nos talapoins l’ont dit, ainsi la chose est sûre.

– Quoi ! Vous nous croyez des héros ?

– Sans doute. – et sans cela nous serions en repos,

Jouissant dans les bois des biens de la nature ?

– Oui, seigneur. – mon ami, laisse-moi donc partir,

Car on t’a trompé, je t’assure ;

Et, si tu veux y réfléchir,

Tu verras bientôt l’imposture :

Nous sommes fiers et caressants ;

Modérés, quoique tout-puissants ;

On ne nous voit point faire injure

À plus faible que nous ; l’amour dans notre cœur

Reçoit des lois de la pudeur ;

Malgré la faveur où nous sommes,

Les honneurs n’ont jamais altéré nos vertus :

Quelles preuves faut-il de plus ?

Comment nous croyez-vous des hommes ?