Jean d’Ameron

 

 

 

HISTOIRE VERITABLE ET PRODIGIEUSE.

Sur la vie, mort & punition d’un homme qui a esté condamné par Arrest à estre pendu & estranglé & puis bruslé, pour avoir tué son Père aux Alleux le Roy, prés Poissy, & a qui le diable à tords le col estant sur l’Eschelle.

 

 

 

Escrite en forme de lettre par le Sieur d’Ameron, Bailly desdits Alleux & de Maulle, & Prevost de Morainvillier, à un sien Amy.

 

 

 

A Paris, chez Jacques Dugaast, ruë de la vielle Bouclerie.

1627

 

 

 

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MONSIEUR.

 

Puis que vous avez agreable que je vous face purement le recit veritable de la vie sanglante, & de la mort honteuse, miserable, & deplorable de Louys le Febvre, dit Malengrené natif des Alleux le Roy, fils de feus Simon le Febvre, & de Perrette le Troteur, je vous diray que ce pauvre miserable avoit trois freres, appellez l’un Jean, l’autre Rollin, & l’autre Pierre ; & estant tous en bas âge, ils furent eslevez avec trop de liberté par leursdits pere, & mere, qui estoient des plus riches du pays. De sorte que ce père (que je puis, crois-je, sans en pouvoir estre repris, appelle malheureux père) prenoit plaisir à faire ordinairement battre ses enfans l’un contre l’autre, en sa presence, & promettant à celuy qui vainqueroit son frere, de luy dõner à boire du vin, & le fouët au vaincu, ce qu’il faisoit, & caressoit tendrement le vainqueur.

 

Les ayans ainsi entretenus long-temps, & jusqu’à l’âge qu’ils fussent capables d’estre plus vicieux, il leur permettoit, mesmes forçoit, d’aller chez leurs voisins pour desrober leurs volailles : & celuy des enfans qui en apporroit le plus en la maison estoit le plus chery, & ceux qui n’apportoient rien estoient appellez bestes, coüards & poltrons par leur père, qui les battoit.

 

Il faut en cela remarquer non seulement la mauvaise conduite du pere à l’instruction de ses enfans : mais aussi la pernicieuse inclination qu’il avoit, & qu’il leur donnoit : car il est vray, qu’il avoit lors de grands biens, & partant n’avoit aucune necessité.

 

Ces enfans estans ainsi fort bien instruits de jeunesse à se battre l’un l’autre, par le consentement, & commandement de leur pere, continuerent ceste mauvaise habitude estans plus grands : mais ledit Louys, (a qui l’on donna ce nom de Malengrené, pour les mauvaistiés qu’il commettoit), ayant mieux retenu les meschantes leçons de son pere, estoit bien plus sanguinaire & furieux que les autres, (encores que leur reputation ne fust pas en meilleure odeur que de raison.)

 

Il ne se contentoit pas des bastons, des pierres, des pieds, & des poings, & son humeur violente & outrageuse ne s’appaisoit pas de si peu, car un jour, il bailla un coup de cousteau audit Rollin son aisné, dont il fut fort blessé à la cuisse, aussi en fut-il informé & decretté contre luy: mais la poursuitte fut ceisée par le pardon que sondit frere luy donna, après qu’il fut guery: Ce n’est pas qu’il y eust une grande douceur & benignité en l’ame de ce frere, car il battoit & outrageoit souvent plusieurs pauvres gens, dont mal luy prit, puis qu’un jour après avoir exercé tels actes, sans subject, sur un Boscheron, ce Boscheron le tua d’un coup de coignée.

 

Quant autres freres, Jean, qui est l’aisné vit encores, mais tout ebesté, & hors de sens: & le plus jeune nommé Pierre a esté tué d’un coup d’arquebuze, après quelque desbauche qu’il avoit faite.

 

Ce père avoit aussi si bien appris & accoustumé ses enfans au larcin, qu’ils desroboient à luy mesme tout ce qu’ils luy pouvoient attrapper, & par leurs mauvaises vies se rendoient si odieux à tout le monde, que l’on les tenoit pour la peste du pays, estans fuis de ceux qui vivoient honnestement, & n’estans hantez que des desesperez & perdus comme eux.

 

Donc, où fusse pour le larcin, & despense, que ces malheureux enfans, faisoient a ce miserable père, ou par une vangeance divine, le desastre tomba en ceste maison, laquelle, comme elle estoit auparavant remplie de biens & de prosperitez, fut comblée de miseres & d’adversitez: de sorte que ce père, & ceste mere, sur la fin de leurs jours, estoient presque contraints de demander leurs vies, par ausmones.

 

Ce malheureux enfant, Malgrené, voyant que la necessité de son père estoit si grande qu’il ne pouvoit plus luy subvenir d’aucune commodité, commence a outrager, battre & excedder sesdits père & mere, avec juremens, injures, & paroles vilaines & odieuses, dont plusieurs fois il fut repris en Justice.

 

Mais la fois la plus remarquable, ce fut lors que sur la plainte de sesdits père & mere, il fut prisonnier és prisons de Poissy, & de la, sur quelque appel, conduit en celles de la Conciergerie de Paris, où il fut jusqu’à ce que ses père & mere, soit par une naturelle inclination, soit par la priere & importunité de leurs parens & alliez, dont il y en a aucuns assez recommandables, se jetterent aux pieds de Monsieur le Procureur General, pour consentir l’eslargissement de leur enfant Ingrat, auquel ils pardonnerent ses fautes passée, recognoissant qu’ils en estoient cause.

 

Leurs plainctes, leurs soupirs & leurs pleurs, & non l’innocence de Malengrené, obtindrent de la clemence de Mõsieur le Procureur General, ce qu’ils demandoient, qui estoit l’eslargissement de leur fils desdits prisons, ausquelles il eust bien mieux valu pour eux qu’il fut demeuré toute sa vie.

 

Je ne scay rien, Monsieur, de tout ce que dessus, que par les voix communes de ceux du pays, & des environs, qui en ont plus de cognoissance que moy, Mais je le croy bien veritable, & chacun le peut croire ainsi, veu les crimes que le dit Malengrené a fait pendant le reste de sa vie, qu’il n’a pas trainée long-temps, & dont je puis parler sçavant.

 

Environ le mois de Janvier 1626. lesdits père & mere, ayans vendu, pour vivre, quelque heritage, dont ils receurent quinze escus comptant, Malengrené l’ayant sceu, fut trouver son père, sur le soir, en sa maison, & luy demanda de l’argent: père vieil & caduc, estoit couché sur son lict, & luy remonstra son incommodité, qu’il ne pouvoit passer le reste de l’hyver sans cette somme, & que luy ostant, c’estoit luy oster la vie. Malengrené, qui n’attendoit ceste response, aymant mieux consentir à ses desbauches, qu’au repos de son père, abandonné de la grace de Dieu poussé par le diable, & continuant ses ordinaires violences, prend un bouchon de paille, l’allume, en brusle la barbe & les cheveux de son père, & non content de cela, le bat, l’outrage, le tire hors dulict, le traine en la court, luy romp un bras, luy escorche la main, luy donne un coup de cousteau au front, & estant sur le fumier, luy jette une grosse pierre sur l’estomac, en sorte qu’il le laissa pour mort, & après battit sa mere qui se sauva en la ruë.

 

Le Sieur du Thier, Lieutenant des eauës & forests de S. Germain en Laye, qui estoit lors par haza[r]d sur les lieux, informa, en mon absence, de ce tragime accident, sur la plainte desdits père & mere, beaucoup de voisins y furent, qui virent ce lamentable spectacle. Ce pernicieux enfant fut pris, l’on le mena à S. Germain, & le voulant interroger demanda son renvoy devant moy, comme son Juge naturel.

 

Le Roy en fut adverty, sa Majesté commanda au sieur Prevost de l’Isle de luy faire son procez, il fut à ceste fin mené aux prisons du Fort Levesque, il ne voulut point respondre, sinon qu’il demandoit tousjours son renvoy pardevant moy, & sur ces contestations il se sauva desdites prisons par un moyen que je n’ay jamais sceu sçavoir.

 

Ce miserable retourna aux Alleux, en une nuict, parla à se mere, & sceut que son père mourut deux jours après l’outrage qu’il luy avoit fait: elle luy conseilla de ne point parroistre, & de se retirer dans les bois, ou elle luy porteroit à manges tous les jours, ce qu’elle fist. Il y sejourna quelque temps: mais craignant que l’on le descouvrit, comme l’on eust faict, il eust par je ne sçay quel moyen une lettre de faveur d’un Gentil homme du pays, pour aller servir de portier à Monsieur le Comte de Bethune, en Anjou, & si en alla, il demeura quelque temps en la maison dudit Seigneur, & jusques à ce qu’il eust quelque querelle contre un Laquais qu’il tua à ce qu’on dit, cela fut cause qu’il fut chassé de  ceste maison, & qu’il revint aux Alleux, ou il ne trouva plus sa mere, pource quelle estoit morte en grande misere, & abandonnee de chacun.

 

Il demeura encores quelques temps caché, sans que l’on le sceut: mais enfin Maistre Michel Leguey mon Lieutenant au Bailliage de Maule, & prevost de la moyenne Justice desdits Alleux, homme tres intelligent en sa charge, le descouvrit, & le fit prendre par un nommé la Fosse Sergent, l’on le mena aux prisons dudit Maule, & fit-on nouvelle information, l’on m’envoya querir pour l’interroger, comme Baillif de la haute Justice desdits Alleux, & luy recoler & confronter les tesmoins, ce que je fis, & le trouvay sufisamment convaincu du Paricide par luy commis en la personne de son Père, & d’avoir battu & outragé sa mere.

 

Faut remarquer que bien qu’il fut dans les prisons du Chasteau dudit Maule, enchaisné d’une forte chaisne de fer, fermee de bons cadenas, & gardé par des personnes fidelles, il trouva moyen un Dimanche matin, pendant que l’on estoit à la grand’messe, d’ouvrir les cadenats, & se deschainer, quoy qu’il n’eust aucun ferrement, ny mesmes un ferret d’esguillette, & qu’il fut lié de telle sorte qu’il ne se peut remuer, d’où l’on jugea qu’il y avoit quelque chose outre la cognoissance des hommes.

 

Je le condemnay à faire amende honorable, à avoir le poing coupé, à estre pendu & estranglé, & apres bruslé, dont il appella, & fut mené de rechef ausdites prisons de la Conciergerie.

 

Son procez fut veu, il fut de nouveau interrogé par Nosseigneurs de la cour, & ma sentence fut confirmee par leur arrest, sinon qu’il n’auroit le poing coupé, qui estoit la seule chose qu’il apprehendoit.

 

Il fut ramené ausdits Alleux le Vendredy 16. Avril 1627. pour executer son Arrest, son Conducteur me dit une chose assez remarquable, qui est qu’en sortant des cachots noirs de la Conciergerie, l’on luy trouva dans sa manche un morceau de fer, ou il y avoit un ressort par le moyen duquel l’on faisoit sortir un couteau d’un costé: & un gros poinçon de l’autre, & ne sceut on jamais sçavoir qui luy avoit baillé: car il est bien certain qu’il ne l’avoit pas apporté, pource qu’en y entrant l’on les fouille de tous costez, & aussi que personne du monde ne les hante, ny ne parle en tel lieu que les Guichetiers.

 

Le sieur le Roy Curé desdits Alleux, homme sage, advisé, & craignant Dieu, lefut voir le lendemain matin 17. dudit mois l’admonesta prudemment, le fit resoudre à la mort, & sembloit estre entierement cõverty & penitent, il dit plusieurs fois que la liberté & la mauvaise nourriture que son père luy avoit donnée, l’avoit rendu en ceste extremité.

 

Je le vis venir en l’Auditoire, je luy fis prononcer son arrest par Maistre Louys Jubert mon Greffier, je luy feis quelque remonstrance selon mon pouvoir, & bransla cinq ou six fois la teste. Je l’interrogay s’il n’avoit rien à dire, que ce seroit la descharge de son ame, & que sa peine n’en augmenteroit pas, il me respondit assez asseurement, avec un mauvais regard, & en branslant encore la teste, que la peine estoit assez grande, il demanda de rechef l’assistance du dit sieur Curé, qui le mena en la Chappelle, je luy dis encores le plus affablement qu’il me fut possible, s’il vouleit faire escrire quelque chose qu’il m’envoyast querir, il ne me respondit pas, & sortit de l’Auditoire.

 

Il fut environ trois quarts d’heure en ladite Chappelle, d’où il sortit tout nud en chemise, avec la torche au poign, & fit amende honorable devant la principale porte de l’Eglise, & de la maison de son père, ainsi qu’il y estoit condamné.

 

Quand il fut au bas de l’eschelle, prest à y monter, il m’appella, & deschargea la Fosse Sergent, de l’accusation qu’il avoit faicte contre luy du vol d’une Croix d’argent.

 

L’executeur le fit monter à l’eschelle, où il commença à s’estonner plus qu’auparavant, & lors qu’il luy mit la corde au col, & qu’il l’attacha à la potence, il jetta sa Croix, & dit que le diable l’avoit trompé. Il pancha la teste sur un eschelon, & aussi tost l’executeur commença à crier que ledit sieur Curé montast, pour ce qu’il se desesperoit, que le diable le tenoit, que le diable l’estrangloit, que l’on chantast le salvé: il s’efforce de le jetter, mais il ne sceut, son valet monte pour le pousser par les pieds, mais en vain, Car le diable n’avoit pas encore joüé son personnage. L’executeur qui n’estoit pas trop asseuré pour n’avoir jamais veu tel accident, redoubloit à crier que le diablele tenoit, que le diable l’estrangloit, pour ce que son col n’estoit point serré, & pour le tesmoigner il met sa main entre son col & la corde. Il ne laissa pas de mourir de à l’instant sur l’eschelle, l’Executeur le jette apres qu’il fut mort, ne l’ayant peu faire auparavant: Lors qu’il fut jetté l’on luy veit le col si bien tors que son menton estoit sur son espaule gauche, & la face sembloit plus enflée qu’auparavant.

 

Les presents qui estoient plus de deux mille, tant du pays que des environs, s’estonnerent d’une si soudaine, estrange, & espouventable mort, ceux d’ailleurs asseurerent, comme il est croyable, que le diable luy avoit tors le col, & ceux du pays, qui le cognoissoient plus particulierement, disoient telle vie, telle fin, & qu’il ne pouvoit esperer autre chose du maistre qu’il avoit servy; chacun en parloit selon sa pensée, mais quoy que ce soit, personne ne tesmoigna estre atteint de douleur pour une si miserable mort.

 

Il fut apres bruslé, & les cendres jettees au vent. Voila tout ce j’en puis dire, & que ce recit meriteroit bien une histoire, je la laisse à faire à ceux qui la pourront escrire mieux que moy, & faire passer de la vie à la mémoire, me contentant de vous en ennvoyer cét abregé, qui est aussi veritable, qu’il est veritable que je suis.

 

 

MONSIEUR,

 

A Morainvillier ce 18.

Avril 1627.

 

Vostre tres-humble & tres-obeyssant serviteur.

 

Jean d’Ameron

 

 

 

 

 

 


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Septembre 2007

 

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